BFM TV, 9 décembre 2024, par Céline Hussonnois-Alaya
Être accompagnée par une doula pendant sa grossesse ? C’est le choix de certaines femmes. Si de nombreuses doulas se contentent de les assister sur les plans pratique et émotionnel, d’autres proposent de remplacer les sages-femmes.
Un accouchement à domicile sans professionnel de santé ? « J’accepte, c’est possible », nous assure une doula contactée par téléphone. Une doula ? C’est ainsi qu’on appelle les personnes, le plus souvent des femmes, dont l’activité consiste à accompagner les futures mères. Un suivi qui va de la grossesse à l’accouchement jusqu’au post-partum.
Face à l’émergence de ce type d’accompagnement, nous avons contacté plusieurs doulas en nous présentant comme une femme enceinte qui souhaite accoucher à domicile. Si la plupart de celles avec lesquelles nous avons échangé refusent catégoriquement un accouchement sans la présence d’une sage-femme et nous invitent à prendre contact au plus vite avec une professionnelle, certaines se montrent beaucoup plus souples.
Être accompagnée par une doula pendant sa grossesse? C’est le choix de certaines femmes. Si de nombreuses doulas se contentent de les assister sur les plans pratique et émotionnel, d’autres proposent de remplacer les sages-femmes.
Un accouchement à domicile sans professionnel de santé? « J’accepte, c’est possible », nous assure une doula contactée par téléphone. Une doula? C’est ainsi qu’on appelle les personnes, le plus souvent des femmes, dont l’activité consiste à accompagner les futures mères. Un suivi qui va de la grossesse à l’accouchement jusqu’au post-partum.
Face à l’émergence de ce type d’accompagnement, nous avons contacté plusieurs doulas en nous présentant comme une femme enceinte qui souhaite accoucher à domicile. Si la plupart de celles avec lesquelles nous avons échangé refusent catégoriquement un accouchement sans la présence d’une sage-femme et nous invitent à prendre contact au plus vite avec une professionnelle, certaines se montrent beaucoup plus souples.
Comme cette doula qui accepte de pratiquer un accouchement à la maison sans professionnel de santé. Elle n’est pourtant ni sage-femme, ni médecin, ne dispose d’aucun diplôme dans le secteur de la santé et n’a même jamais participé à un accouchement, excepté les siens.
Elle nous propose également sa propre « préparation à l’accouchement » qui nous dispenserait, selon elle, de celle proposée en maternité -en principe sept séances réalisées par un médecin ou une sage-femme. Et pour se préparer au jour J, elle nous recommande une pharmacopée faite de framboisier, agripaume et ortie pour faciliter le travail et la délivrance.
Une autre doula se dit prête à « en discuter ». Si une troisième préfère qu’une sage-femme soit présente à l’accouchement, elle ajoute que cette présence n’est finalement pas « obligatoire ».
Quant au suivi médical pendant la grossesse -sept visites et trois échographies- cette même doula qui se dit « persuadée que les femmes ont tout ce qu’il faut pour enfanter » se montre plus indulgente. « C’est bien d’avoir vu une sage-femme au moins une fois ou deux et d’avoir fait une ou deux échographies », juge-t-elle.
Des interventions surtout à domicile
Une doula -« travailleuse, servante » en grec- est une personne « qui a pour vocation d’aider une femme et son entourage pendant la période périnatale », présente l’Association doulas de France. « Elle incarne la figure connue qui se tenait autrefois auprès de la femme qui met au monde son bébé, aux côtés de la sage-femme. »
Les doulas sont apparues il y a une vingtaine d’années. Mais elles restent encore peu connues de ce côté-ci de l’Atlantique, contrairement à l’Amérique du Nord où faire appel à une doula est une pratique courante. Notamment aux États-Unis où la profession de sage-femme telle qu’elle est reconnue en France -avec un diplôme qui nécessite six ans d’études après le bac- n’existe pas.
En France, les doulas sont rarement acceptées en salle de naissance; la plupart d’entre elles interviennent le plus souvent à domicile. Car à l’heure d’un retour en force du naturel, d’un rejet de la surmédicalisation et d’une prise de conscience des violences obstétricales, l’accouchement à la maison connaît une progression, même si cela reste une pratique marginale.
L’Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile, qui réunit 89 sages-femmes exerçant en France cette pratique, estime qu’il représente 0,2% des naissances. Cette association a ainsi enregistré en 2022 quelque 1439 femmes ayant entrepris un suivi prénatal auprès d’une sage-femme libérale afin de planifier un accouchement à domicile, d’après son dernier rapport d’activité.
En France, l’accouchement à domicile est autorisé, qu’il soit « assisté » -c’est-à-dire avec la présence d’une sage-femme- ou « non assisté » -ce qui signifie sans aucune assistance médicale. Le nombre d’accouchements prévus à domicile ou en maison de naissance avec une sage-femme est estimé à un peu moins de 2000 par an, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).
En ce qui concerne les naissances à domicile non programmées -que cela soit un choix ou le résultat d’un accouchement inopiné- la Drees nous communique un total de 5100 naissances (dont 3900 en métropole) en 2021. Des données connues par l’hospitalisation des nouveau-nés à leur naissance. Quant au nombre de naissances à domicile qui ne nécessitent pas d’hospitalisation du bébé, c’est l’inconnu.
Un métier non reconnu et non réglementé
En principe, les doulas n’accouchent pas les femmes. C’est ce qu’assure Virginie Franqueza, membre du conseil d’administration de l’Association doulas de France dont l’annuaire recense environ 200 doulas. Pas question même de préparer à l’accouchement.
« Je dis toujours aux parents que je n’ai aucune compétence médicale. Nous ne sommes pas sage-femme. »
Lors d’un accouchement à domicile, Virginie Franqueza veille d’ailleurs toujours à arriver après la sage-femme. La charte -non contraignante- de son association stipule notamment que les doulas ne sont pas des thérapeutes et n’ont « aucune compétence pour dispenser une consultation, donner un avis médical, établir un diagnostic ou une prescription ».
Le rôle d’une doula consisterait donc à « accompagner la femme et le couple dans son parcours de maternité », explique encore Virginie Franqueza. Un accompagnement « pratique » mais aussi « émotionnel ». « On aide les parents à développer leur projet de naissance, on les écoute sans les juger. On se met à leur service. On peut aussi finir une vaisselle, donner un coup de main pour la tenue de la maison ou masser des jambes gonflées. »
Ce dont témoigne Séverine Schlayen, 36 ans, qui a accouché à domicile de son troisième enfant. En plus de la sage-femme, elle a tenu à ce qu’une doula soit présente « pour la fluidité de l’organisation ».
« Je voulais être libérée de la gestion logistique. Elle m’a fait des points d’acupression, m’a aidée à me positionner. C’était aussi un soutien psychologique. Le papa a aussi pu vivre pleinement cette naissance sans avoir rien d’autre à gérer. »
Mais à l’heure actuelle, l’activité de doula n’est pas réglementée et ne bénéficie d’aucune reconnaissance officielle. Son exercice est donc libre, sans nécessité de diplôme.
« C’est la roulette russe »
« Les doulas n’ont absolument pas les compétences pour assurer la sécurité des femmes et des enfants », met en garde Anne-Marie Curat, trésorière du conseil de l’Ordre des sages-femmes. « Elles n’ont aucune formation qui leur permettrait de diagnostiquer une pathologie ou de repérer un signe de souffrance fœtale. »
Si Philippe Deruelle, professeur de gynécologie-obstétrique au CHU de Montpellier et secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), reconnaît qu’un accompagnement par une tierce personne -qu’il s’agisse d’une doula comme du ou de la partenaire- représente un réel bénéfice pour la parturiente, le risque est réel.
« La plupart des accouchements à domicile se passe bien. Mais si ça tourne mal? On a par exemple beaucoup de mal à prédire l’hémorragie de la délivrance qui peut survenir chez des patientes pourtant sans problème. »
Une complication qui touche 5 à 10% des accouchements et représente la première cause de mortalité maternelle, selon le CNGOF. « Avec une doula, il n’y a pas de plan B. C’est la roulette russe. »
Il rappelle qu’un accouchement sur dix finit par une césarienne non programmée. En 2010, une doula (qui s’était fait passer pour une sage-femme) a été condamnée dans l’Ariège à douze mois de prison avec sursis après la mort d’un bébé qu’elle venait de mettre au monde.
Des risques de dérives?
Difficile d’avoir une idée de leur nombre. L’Association doulas de France évoque un total de 1300 doulas formées en présentiel dans les trois centres de formation qu’elle reconnaît. Une formation d’une trentaine de jours « sur le modèle de ce qui existe pour les formations d’aide à la personne », détaille Pascale Beigbeder, directrice de formation de l’Institut de formation Doulas de France, « comme une aide à domicile spécialisée ».
Mais cela ne rassure pas l’Académie nationale de médecine qui alerte sur le « danger que peut représenter l’immixtion de personnes insuffisamment formées dans le déroulement de la grossesse et de l’accouchement », avec une connaissance du sujet « fondée le plus souvent sur une expérience personnelle de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement ».
D’autant qu’un certain nombre de doulas se forment uniquement en ligne, avec des interrogations sur le contenu de ces formations. Si l’une de ces formations -qui représente un courant important de doulas- propose tout de même un « survol des différentes pathologies et urgences obstétricales », l’essentiel des thématiques tourne autour du féminin sacré -dont certaines dérives ont été dénoncées- avec une large part laissée au mystique, aux rituels et aux cérémonies.
Ce qui inquiète d’ailleurs la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui a pointé dès 2006 le développement de cette nouvelle activité. Dans son rapport annuel 2018-2020, la Miviludes appelait de nouveau à la vigilance, évoquant des pratiques « problématiques » ainsi qu’une « certaine emprise psychologique sur des femmes fragilisées ».
Elle indique à BFMTV.com avoir reçu « 27 interrogations et signalements » depuis 2010. Pour la Miviludes, « en l’absence de tout encadrement, ce métier d’accompagnement à la naissance sur le registre de l’aide à la relation pose un certain nombre de questions ».
« Il peut concerner des publics vulnérables, qu’il s’agisse des doulas, éventuellement initiées à l’apprentissage de méthodes ‘psychologisantes’, ou des futurs parents confrontés à des difficultés de toute nature. Leur fonction peut les conduire à empiéter sur les compétences de professions de santé, en particulier sur celles des sages-femmes. »
« GPS quantik » et « dépollution »
Lors de nos entretiens téléphoniques, plusieurs doulas nous proposent notamment des soins énergétiques. Comme ce « GPS quantik » ou « scan corporel » qui permettrait de « travailler en dépollution », « rééquilibrer les énergies » et « nettoyer ses organes ». Des soins qui peuvent se faire d’un simple toucher ou à distance, « comme les ondes wifi », nous explique-t-on.
D’autres nous recommandent également la « naissance lotus ». C’est-à-dire ne pas couper le cordon ombilical du bébé qui reste accroché plusieurs jours à son placenta -ce qui n’est possible que dans le cas d’un accouchement à domicile. « C’est le bébé qui décide quand couper le lien », explique une doula. Une autre précise que cela permet au bébé de lui laisser le temps de « télécharger son âme ».
Sur le plan sanitaire, les médecins mettent pourtant en garde contre les risques infectieux de cette pratique.
D’autres doulas se sont par ailleurs spécialisées dans la transformation placentaire, que ce soit en smoothie, teinture-mère (un morceau de placenta qui macère dans de l’alcool) ou réduit en poudre et encapsulé. Or, ce n’est pas légal.
La femme qui accouche n’est pas propriétaire de son placenta. Le code civil stipule que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Et selon le code de la santé publique, le placenta est considéré comme un déchet d’activité de soin à risque infectieux.
Une circulaire a d’ailleurs rappelé en 2012 qu’il était « interdit aux parturientes de récupérer leur placenta après leur accouchement ou de confier le placenta et/ou le cordon à des organismes qui ne sont pas autorisés à les préparer, les conserver et les distribuer sous quelque forme que ce soit ».
« Appeler l’âme du bébé »
Des doulas nous assurent que la transformation placentaire permettrait de « créer ta médecine et celle de ton bébé ». De la « potion magique », nous affirme-t-on encore avec sérieux. Quant à la posologie, « c’est plus la vibration qui est intéressante que le grammage », nous explique une autre. Un coup de blues ou un coup de fièvre? Une dent qui perce? « Deux-trois gouttes (de teinture mère, NDLR) dans de l’eau chaude à la cuillère ». À consommer « toute la vie ».
Des propositions dangereuses, dénonce le professeur de gynécologie-obstétrique Philippe Deruelle. « C’est de l’exercice illégal du métier de médecin, obstétricien et sage-femme. » Au-delà du risque d’intoxication -aux États-Unis, un nouveau-né a été hospitalisé après que sa mère a ingéré des capsules contenant son placenta, rapporte le Washington Post- aucune étude scientifique n’a prouvé les bénéfices liés à la consommation du placenta.
« Le processus de mise en capsule du placenta n’élimine pas les agents pathogènes infectieux, donc l’ingestion de capsules de placenta doit être évitée », tranche les CDC, l’agence américaine en charge de la santé.
Plusieurs doulas nous promettent par ailleurs de nous « libérer » de nos traumatismes, d’autres proposent une « communication d’âme » avec le bébé. « Je peux écouter ce que dit le bébé et le retranscrire aux parents », annonce l’une d’elle. Une autre nous certifie communiquer avec l’âme de l’enfant avant même qu’il ne soit conçu, « vous appelez l’âme de votre bébé ».
De 1200 à plus de 5000 euros
Des assertions qui inquiètent Déborah Schouhmann Antonio, thérapeute spécialisée en périnatalité. « Dans le cadre d’une PMA, par exemple, nous avons des femmes en souffrance, hypersensibles et parfois fragiles. » Certaines de ses patientes lui ont ainsi déjà confié être prêtes à « faire n’importe quoi » pour tomber enceinte.
Elle se souvient notamment de l’une d’entre elles qui culpabilisait après qu’un transfert d’embryon n’a pas fonctionné. « Elle devait dire des mantras tous les jours, mais ne l’a pas fait une fois. Elle était persuadée que c’était à cause de ça. » Une autre, qui souffrait d’endométriose, pensait pouvoir enfin réussir à concevoir après un nettoyage d’utérus avec un bol tibétain. « Ça lui a coûté 200 euros. » Et elle n’est pas tombée enceinte.
Car l’accompagnement proposé par les doulas a un coût. En moyenne, compter entre 60 et 120 euros la rencontre. La plupart d’entre elles proposent également des forfaits, comprenant plusieurs rencontres avant et après la naissance, la possibilité de les joindre par messagerie sept jours sur sept, une astreinte de deux à quatre semaines avant le terme ainsi qu’une présence le jour de l’accouchement.
Certaines proposent également la livraison de repas en post-partum. Un pack tout compris allant de 1200 à plus de 5000 euros pour certaines.
« Jusqu’où ça peut aller? »
Interrogée par BFMTV, la direction générale de la Santé explique avoir instauré et réuni pour la première fois en juin 2023 un comité d’appui à l’encadrement des pratiques non conventionnelles en santé. Et indique que les missions de ce comité pourraient inclure « l’activité des doulas, leur catégorisation » et « organiser leur évaluation et plus globalement leur encadrement dans un objectif de sécurisation des patients, de promotion des pratiques de bénéfice-risque favorable et d’interdiction des pratiques dangereuses ».
Le ministère de la Santé ajoute que « dans l’attente de l’avancée des travaux », le cadre règlementaire actuel s’applique, « en particulier les dispositions relatives à l’exercice illégal de la médecine et de la profession de sage-femme », puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. La Direction générale de l’offre de soins indique par ailleurs qu’en aucun cas l’intervention des doulas « ne doit réduire l’accès à la prévention, retarder le repérage de risques associés à la grossesse et, encore moins, altérer cette prise en charge médicale ». Mais ne répond pas à la question posée sur l’encadrement de cette activité.
« Que quelqu’un accompagne les femmes pour les soutenir, les écouter, leur préparer des repas, s’occuper d’elles à leur retour de la maternité, c’est très bien et même bienvenue », considère Déborah Schouhmann Antonio. « Les doulas peuvent tout à fait proposer quelque chose de complémentaire », abonde Véronique Borgel Larchevêque, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité.
« Et je n’ai rien contre les croyances. Mais à condition qu’elles n’entravent pas la prise en charge médicale et que ces doulas ne s’improvisent pas psychologue ou psychothérapeute. Ce qui m’interroge, c’est jusqu’où ça peut aller. »
Céline Hussonnois-Alaya