Nous avons une responsabilité envers les mères

« C’est la nuit qu’on veut se jeter par la fenêtre. » Voilà le titre qu’avait choisi le média en ligne Rue 89 pour illustrer mon témoignage sur la difficulté maternelle à l’époque. C’était en 2012, pour la naissance de mon deuxième enfant. Ces mots peuvent paraître violents, mais ce n’est rien comparé à la violence des émotions que l’on éprouve quand on traverse une dépression du post-partum. Le quotidien devient un enfer, tout est sombre, il n’y a plus de repères, de phare, de boussole. C’est la tempête, le bateau coule, et vous avec. La seule voie que vous envisagez alors, c’est de vous noyer (ou de noyer votre enfant !) pour faire cesser enfin les cris, les pleurs, le jour sans fin. C’est lui ou vous. Et ce n’est pas un hasard si le suicide est désormais la première cause de décès maternel (selon le dernier rapport de l’Inserm et de Santé Publique France publié en avril 2024).

Une promesse : œuvrer pour sortir du tabou de la difficulté maternelle

Comment (s’)avouer qu’on a du mal à l’aimer ce bébé ? Qu’on voudrait quitter cette vie devenue insensée, qu’il serait mieux sans nous, que de toute façon, on ne sait pas faire ? Qui peut l’entendre ?

Ce qui nous a sauvés, mon bébé et moi, c’est l’écoute de cette femme au bout du fil qui m’a dit qu’il n’était pas normal que la maternité me mette dans cet état-là. Le rendez-vous était pris le lendemain à l’hôpital Charcot de Saint-Cyr-L’Ecole, service de maternologie. Je n’étais donc pas folle et on allait enfin m’aider. Nous sommes restés hospitalisés 2 mois et demi avec mon nourrisson dans cette unité mère-bébé, entre effondrement, incompréhension et incrédulité : comment se faisait-il que je n’aie jamais été informée de ce qu’était la dépression post-partum, a minima la difficulté maternelle ? Qu’on puisse traverser un tel bouleversement émotionnel et psychique et que jamais personne n’en parle ? À la fin de mon séjour, une fois le soleil revenu, il était évident pour moi que j’apporterai un jour mon aide pour que les futures et jeunes mères soient informées de l’existence de ces difficultés et sachent où trouver de l’aide, pour ne plus se sentir seules, honteuses et incomprises.

C’est là qu’est né mon engagement auprès de Maman Blues, grâce à la cheffe de service qui m’a parlé de cette association. Et quand l’hôpital Charcot a décidé de détruire « transformer » ce service en unité « parents-bébés » avec accueil de jour uniquement, le vase était plein ! Je me suis mobilisée aux côtés de Maman Blues, des mères et des soignants pour manifester notre colère et j’ai rencontré des bénévoles, dont Elise Marcende, l’actuelle présidente de l’association, ce qui m’a confortée dans la nécessité d’être aux côtés des mères en détresse.

Du « tremblement de mère » à bénévole : des femmes engagées à l’écoute de toutes les difficultés maternelles

Cet engagement a été toutefois progressif : pendant ces douze années, je n’ai pu qu’adhérer à l’association, ne me sentant pas prête à franchir le pas du bénévolat et du soutien actif auprès des mères. J’ai toujours parlé très ouvertement de mon vécu mais ce n’est qu’à l’issue de ma formation de doula que je me suis sentie légitime et capable de m’investir pleinement auprès de Maman Blues. Je fais donc partie depuis 2 mois de l’équipe des 66 bénévoles, ayant traversé elles-mêmes une difficulté maternelle, et suis référente pour la Seine-Maritime.

Pour l’instant, la priorité pour moi est de faire connaître l’association dans mon département, d’élargir le réseau de professionnels sensibilisés à la difficulté maternelle et de prendre mes marques sur le forum dédié aux mères pour répondre à leur détresse et leur dire qu’elles ne sont pas seules. Puis j’organiserai, comme le font la plupart des référentes, des groupes de parole autour de chez moi. C’est d’ailleurs l’un des piliers des actions de l’association.

Lorsqu’on s’engage en tant que référente Maman Blues, on a une responsabilité. Nous nous devons de répondre aux messages dans les 24h, pour éviter de passer à côté d’une situation dramatique. Les appels que les mères (ou l’entourage) nous adressent sont souvent des signes de grande détresse, presque l’ultime bouée de secours, quelle que soit la difficulté ressentie. (NB : toutes les difficultés maternelles ne sont pas synonymes de dépression anté- ou postnatales.) Alors, nous sommes là pour elles.eux, nous nous relayons, nous lisons et accueillons leurs ressentis, sans aucun jugement. Nous maintenons autant que possible le lien, nous prenons des nouvelles quand le silence s’installe, et nous orientons aussi quand c’est nécessaire, grâce à l’annuaire de professionnels que l’association a enrichi au fil des années. Nous ne sommes pas thérapeutes et ne posons aucun diagnostic. Nous restons à notre place de bénévoles, écoutantes et répondantes, en gardant en tête que notre soutien est précieux mais qu’il faut savoir laisser la main aux professionnel.les de santé si la situation l’exige. Et comme pour les doulas, l’entraide est très présente au sein de l’association quand une situation nous questionne.

J’aimerais tant qu’à terme les femmes ne soient plus livrées à elles-mêmes à la sortie de la maternité, qu’elles soient entendues et soutenues pleinement dans leur état de mère au quotidien. Mais pour cela, il faut des mesures gouvernementales fortes et durables, un engagement réel des pouvoirs publics. C’est aussi en cela qu’œuvre Maman Blues : pour alerter les pouvoirs publics sur cette réalité et demander la mise en place de moyens humains et hospitaliers adaptés, pour que « l’obstétrique mentale soit un jour réellement à la hauteur des enjeux de la naissance d’un enfant ». (Source : https://www.maman-blues.fr/nos-valeurs/)

Vanessa Weber
Doula DDF et référente Maman Blues Seine-Maritime

La difficulté maternelle, c’est quoi exactement ?

Pour Maman Blues, l’expression « difficulté maternelle » recouvre l’ensemble des manifestations émotionnelles, psychiques et somatiques qui surgissent pendant une grossesse ou après une naissance, pénalisant la relation mère enfant et le développement psychique du bébé. Pour autant, elle précise que tous les troubles émotionnels et psychiques ressentis ne relèvent pas systématiquement d’une difficulté maternelle et ne justifient pas d’un suivi médical.

L'association en résumé :

  • Une association créée en 2006 par deux mères ayant traversé une difficulté maternelle, conscientes de la nécessité de témoigner et de pallier le manque d’informations et de conseils donnés aux femmes et à leur entourage
  • Plus de 200 adhérentes
  • Près de 70 référentes, ayant elles-mêmes connu la difficulté maternelle, pour assurer un relai dans leur département
  • Une centaine de professionnels sensibilisés à la cause référencés par Maman Blues
  • Des actions de soutien et de prévention auprès du public et des professionnels de santé, d’éducation, de la périnatalité et du social
  • Un réseau de partenaires (dont Doulas de France)
  • Un militantisme pour la mise en place de mesures publiques pour accompagner les mères en difficulté maternelle

Quelques chiffres

  • 10 à 20 % des femmes chaque année concernées par une souffrance psychique pendant leur grossesse, après la naissance ou bien encore après l’accueil de leur enfant dans le cadre d’une maternité adoptive.
  • Le suicide est désormais la première cause de décès maternel
  • Seuls une centaine de lits en unités mères-bébés sont répertoriés en France

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