Le Monde, 1er juin 2024, par Marion Bothorel
Présente depuis une vingtaine d’années en France, cette activité centrée autour de la maternité, en marge du monde médical, n’a pas de reconnaissance légale.
À propos de cet article, le regard de DDF
L’association Doulas de France tient à préciser que Françoise Souverville est avant tout sage-femme diplômée en Arkansas aux États-Unis. Elle a contacté Doulas de France à son arrivée en France, nous demandant si elle pouvait se dire doula, nous lui avons expliqué que ce n’était pas possible, elle nous a assuré qu’elle ne le ferait pas. Elle était connue de plusieurs sages-femmes et de l’ordre de l’Ariège sans que personne n’intervienne avant le malheureux événement de 2008.
Pour en savoir plus :
Communiqué sur la sage-femme américaine en Ariège
Présente depuis une vingtaine d’années en France, cette activité centrée autour de la maternité, en marge du monde médical, n’a pas de reconnaissance légale. Reportage en Ariège, où un nombre notable de doulas proposent leurs services. Et où l’une d’elles fut condamnée pour « exercice illégal de la médecine », après la mort d’un nouveau-né en 2008.
Marion (le prénom a été modifié) en est persuadée : la césarienne d’urgence, à la naissance de son aînée, est due à une « erreur de diagnostic » qui a entraîné « tout un tas de complications ». Ce traumatisme, qui a alimenté chez cette cadre de la fonction publique une « grosse méfiance envers le corps médical », la conduit, ainsi que son mari, à s’informer désormais sur les réseaux sociaux. Marion s’y nourrit de récits d’accouchements livrés par des inconnues, et suit des comptes aux milliers d’abonnés tenus par des femmes se revendiquant doulas. Quand la trentenaire toulousaine tombe enceinte de son deuxième enfant en 2023, sa sage-femme lui conseille de s’entourer de l’une d’elles : « Elle trouvait que ce serait bien d’avoir une tierce personne pour nous accompagner, et, parmi les contacts qu’elle m’a donnés, il y avait Noëmi », se remémore Marion.
Rencontrée en janvier, Noëmi Schenkel, 40 ans, officie comme doula – nom qui renvoie à l’esclave domestique de la Grèce antique attachée à la maîtresse de maison. Elle est installée à Goutevernisse, un village au bout d’une route sinueuse, aux confins de la Haute-Garonne et de l’Ariège, département peu peuplé qui concentre une proportion notable de doulas. Marion et son conjoint ne s’y rendent pas toujours pour la voir : leur domicile étant à une soixantaine de kilomètres de là, le trio se rencontre parfois à mi-chemin pour échanger au cours d’une balade. Lors de ces sorties, Marion et son mari commencent avec Noëmi Schenkel un « travail de détricotage des peurs » liées à l’accouchement. La confiance s’installe auprès de cette « présence féminine, cette maman elle aussi convaincue par la beauté de [leur] projet de naissance », poursuit Marion, qui prévoit alors d’accoucher à domicile. Un souhait tu à son entourage.
Se faire accompagner par Noëmi Schenkel signifie pour Marion avoir toujours quelqu’un « de disponible, capable de beaucoup d’écoute, sans être dans le monde médical ». A cet effet, la jeune mère a souscrit, moyennant 600 euros, un forfait de vingt heures d’accompagnement émotionnel et logistique, qu’elle peut utiliser avant, pendant ou après la naissance. A la demande, une doula peut s’occuper des courses, des repas, du baby-sitting des aînés mais aussi discuter autour de tisanes, prodiguer des massages, apprendre à la future maman comment nouer une écharpe de portage, la conseiller pour l’allaitement, jusqu’à sortir le chien de la famille, énumère Noëmi Schenkel.
Si les doulas répondent à une demande croissante, la nature de leurs activités interroge : présente depuis une vingtaine d’années en France, la profession n’est pas reconnue légalement, ce qui ouvre la voie à de nombreuses dérives. Le flou s’installe d’ailleurs dès qu’on demande à l’une d’elles de tracer les contours de sa pratique. « L’essence d’une doula, c’est être auprès de l’autre personne de manière inconditionnelle », tente Noëmi Schenkel. En résumé, il s’agit de proposer une « écoute » sur un « temps » quasiment illimité, ainsi qu’une « sécurité » et de la « bienveillance ». La doula répond au besoin exprimé par le couple « d’être cocooné, sublimé, comme deux individus en train de vivre une expérience particulière », poursuit celle qui se décrit comme une « petite souris qui œuvre en coulisse pour s’assurer que la pièce de théâtre se passe bien ». Dans sa maison « sans ondes », comme le stipule une pancarte bien visible dans l’entrée, se déroulent également des « cercles mamans-bébés ». A l’étage, au milieu de la grande pièce aux couleurs ocre, des femmes se rassemblent pour discuter de leur maternité, assises en tailleur autour d’un autel en bois, où sont disposées des plumes, des herbes séchées et des bougies en train de se consumer.
C’est ainsi que se rythme la nouvelle vie de Noëmi Schenkel, assistante de gestion par le passé. Le projet de reconversion est venu après la naissance de sa première fille afin de passer plus de temps avec elle. Elle se projette d’abord comme assistante maternelle, jusqu’à ce qu’elle découvre, en naviguant sur Internet, l’univers des doulas : « Quand j’ai lu l’article d’une doula qui racontait son métier, c’est comme si des pièces d’un puzzle s’assemblaient. » A la naissance de sa deuxième fille, elle lance son activité, juste avant la pandémie de Covid- 19. « Les doulas se sont semées à la même vitesse que le virus sur les réseaux sociaux », dit-elle dans un sourire.
Violences obstétricales
Cette « explosion » du métier est nuancée par Doulas de France, la principale association française regroupant des doulas, qui en recense seulement deux cent treize en exercice dans son annuaire. Un décompte forcément lacunaire puisque, pour y figurer, il faut avoir réalisé un minimum de cent cinquante heures de formation, de préférence dans son propre institut, et être signataire de la charte déontologique de l’association. Mais si Doulas de France impose ces prérequis à ses adhérentes, n’importe qui peut s’autoproclamer doula, en l’absence de réglementation. Les femmes qui choisissent cette voie déclarent leur activité comme étant du « service à la personne » auprès de l’Urssaf et s’immatriculent en tant qu’autoentrepreneuses.
Ce statut flou permet à de nombreuses vocations de fleurir sur les réseaux sociaux – où, indéniablement, l’activité « est en plein boom », confirme une porte-parole de Doulas de France. Le terme engrange plus de 2 millions d’occurrences sur Instagram, notamment parce que ces accompagnantes des femmes enceintes y ont donné écho au mouvement de libération de la parole contre les violences obstétricales, relayé par Le Monde dès 2017. « L’essor du métier s’explique par le fait que beaucoup de femmes cherchent à réparer ce qu’elles ont vécu », assure Noëmi Schenkel.
C’est l’histoire de Camille Filluzeau, 37 ans, qui reçoit à Prat-Bonrepaux (Ariège), à une trentaine de kilomètres de Noëmi Schenkel, dans son « cabanon de doula ». Perchée sur pilotis face à la chaîne des Pyrénées, cette petite structure en bois est ce que découvre en premier le visiteur, parvenu au bout d’un cahoteux chemin de terre. Derrière, on devine une imposante maison en pierre. Il y a une dizaine d’années, cette jeune femme énergique et son mari quittent la banlieue parisienne pour la quiétude de la campagne ariégeoise, avec le projet de gérer une exploitation agricole. Son conjoint y parvient, Camille Filluzeau reprend son métier d’ergothérapeute avant de vivre une fausse couche, annoncée avec un « manque d’empathie, de bienveillance, de prise en considération de ses émotions ».
Pour dépasser cette douloureuse expérience, elle se fait accompagner par une sage-femme des environs qui l’informe « des choix que peut faire une femme enceinte et de ceux qu’elle peut refuser », soit certains examens et gestes médicaux jugés invasifs. Après avoir donné naissance à deux garçons et une fille, Camille Filluzeau devient la « copine militante qu’on appelle quand il y a des doutes lors d’une grossesse ». Quand une leucémie l’amène à « remettre toute sa vie en question », elle découvre dans un article le métier de doula : « Je me suis renseignée un peu plus, jusqu’à me sentir légitime à le faire. » Aujourd’hui devenue « Manila Doula », elle souhaite « apporter un peu plus de clarté, de connaissances et d’informations » pour « permettre aux femmes de savoir ce qu’on leur cache ». « Je ne suis pas complotiste », se reprend-elle immédiatement, avant d’expliquer aspirer simplement à ce que les femmes deviennent « vraiment actrices » de leur accouchement.
Une « place à prendre »
Des propos qui ne correspondent pas à la ligne officielle de Doulas de France – « l’écoute, oui, le conseil, non ». « Une doula, c’est quelqu’un qui doit incarner, auprès des personnes accompagnées, une confiance absolue, développe l’une des porte-parole de l’association, Pascale Gendreau, installée à Bordeaux. Celles-ci vont traverser des moments difficiles mais on sait qu’elles vont réussir. En tant que doulas, on reste disponibles pour répondre à leurs questions mais ce sont elles qui décident. »
A Varilhes, sur les bords de l’Ariège, juste au nord de Foix, Laëtitia Verdu reçoit dans son cabinet aux tons doux et accordés à sa tenue. Des viennoiseries et du café fumant embaument la pièce, pendant cette unique heure de disponible avant que ne s’enchaînent les rendez-vous pour la présidente du conseil départemental de l’ordre des sages-femmes de l’Ariège. Décrivant ses consœurs épuisées par des journées chargées et millimétrées, elle se montre préoccupée par la posture des doulas, qui cherchent, selon elle, une « place à prendre dans cette période de vulnérabilité » que vivent les femmes « de la grossesse au post-accouchement ». Armées de leur bagage médical, les sages-femmes apportent pourtant déjà un soutien psychique à leurs patientes.
Mais aujourd’hui, le temps leur manque, déplore Laëtitia Verdu. « Malheureusement, dans tout le système de la santé, les professionnels sont au bord de la crise parce qu’ils ne parviennent pas à faire tout ce qu’ils devraient faire auprès de leurs patients », regrette-t-elle. Dans ce contexte, la représentante des sages-femmes ariégeoises alerte : « Vous le savez, la nature a horreur du vide. Donc, forcément, s’il y a une mission attribuée à la sage-femme qui ne peut plus être assurée, elle va être complétée par quelqu’un d’autre. »
En assurant à leurs clientes un suivi individualisé et quasiment permanent, en se montrant disponibles à toute heure par téléphone, les doulas répondent à un besoin qui s’exprime de plus en plus chez les femmes enceintes. Ce besoin de suivi sur mesure, le chef du service de gynécologie et d’obstétrique du centre hospitalier intercommunal des vallées de l’Ariège (Chiva), à Saint-Jean-de-Verges, assure l’« entendre ». Le docteur Benjamin Van Cortenbosch affirme prendre le temps de discuter avec ses patientes, mais devoir « tout négocier » avec une frange d’habitants « néoruraux » versant dans un « certain
militantisme ». « Par exemple, on a des patientes qui ont des papillomavirus avec des lésions importantes. Quand on leur dit qu’il faudrait enlever ces lésions, on nous répond : “Non merci, je vais essayer le jeûne et me soigner par les plantes.” Et ce sont ces personnes-là qui ont recours aux doulas », soupire le gynécologue obstétricien, qui croise des doulas dans les couloirs de sa maternité.
S’il se montrait au départ hostile à leur présence au bloc obstétrical, le praticien a infléchi sa position sur les doulas. « Très récemment, on a été confrontés à une patiente qui nous a imposé sa doula en arrivant à la maternité. Notre première réaction a été d’écarter cette dernière, considérant qu’elle allait nous bloquer, raconte-t-il. Mais, au contraire, elle nous a finalement aidés à communiquer avec cette patiente, qui était en refus complet de prise en charge hospitalière. »
Le risque de l’accouchement autonome
Car, pour les clientes des doulas, l’hôpital fait souvent figure de repoussoir. La peur d’« accoucher dans une usine à bébés » a été régulièrement verbalisée par la trentaine de couples qu’a accompagnés en quatre ans Laura Munoz. Cette doula ariégeoise de 35 ans reçoit dans son cabinet situé sur les hauteurs du village médiéval de Saint-Lizier. Pourtant, l’Ariège est loin de l’usine à bébés. Outre le Chiva, la seule autre maternité du département, située à Saint-Lizier, est maintenue en activité malgré un faible nombre de naissances – cent cinquante en 2023 – et un manque chronique de personnel médical.
Avec son millier de naissances par an, le Chiva essaye aussi de s’adapter aux projets de ses patientes. Ce centre hospitalier répond, par exemple, à leur souhait d’enfanter sans recourir à la péridurale – une volonté partagée par un quart des femmes enceintes, selon la dernière étude disponible de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, publiée en 2015. « On y est ouverts : on essaie de coller au plus près de la physiologie quand on peut se le permettre, sans déroger aux règles de sécurité. C’est pour cette raison qu’on a un taux de 22 % d’accouchement sans péridurale », assure Benjamin Van Cortenbosch. Il reste que le département manque de structures adaptées aux souhaits de toutes ses habitantes. Ainsi, le Chiva ne dispose pas de salle d’accouchement physiologique, permettant une naissance moins médicalisée et laissant à la parturiente le temps qu’elle souhaite lors du travail. En outre, l’Ariège ne compte aucune maison de naissance, ces structures reliées à un service hospitalier et où les sages-femmes accouchent leurs patientes de manière plus individualisée.
En raison de cette situation, les Ariégeoises qui ont recours aux doulas sont aussi pour la plupart porteuses d’un projet de naissance à domicile. A condition d’être assurés par une sage-femme, et si la femme enceinte n’attend pas des jumeaux ou encore que sa grossesse n’est pas jugée à risque, les accouchements accompagnés à domicile (AAD) sont possibles, assure Läetitia Verdu : « Les études sont très rassurantes concernant la sécurité pour les femmes et les enfants. » Mais ces AAD restent risqués pour les sages-femmes : afin d’être couvertes en cas de complications, elles doivent souscrire à une assurance dont le montant est « équivalent au revenu annuel d’une sage-femme », déplore la représentante ariégeoise de la profession. Conséquence : en France, en 2022, quatre-vingt-neuf sages-femmes, dont une seule exerçant en Ariège, osaient encore accompagner les 1 439 femmes souhaitant un AAD, selon le rapport 2021-2022 de l’Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile.
Par défaut, certaines patientes s’orientent donc vers un accouchement autonome, c’est-à-dire sans aucune assistance médicale. « Des parents s’y risquent, c’est leur plan B », confirme la doula Laura Munoz, soucieuse d’alerter sur les risques de l’accouchement non assisté (ANA). Cette pratique reste légale – chaque Française étant libre, selon la loi, d’accoucher où elle le souhaite –, mais évidemment pas sans danger. Il n’empêche : sur des groupes Facebook ou par bouche-à-oreille, on trouve très facilement des doulas se proposant d’être présentes lors d’un ANA. Ces dernières n’adoptent pas la position défendue par la charte de Doulas de France, qui impose qu’un soignant soit présent à un accouchement pour y participer. Et ferment les yeux sur des drames passés, comme celui qui avait endeuillé l’Ariège il y a quinze ans.
Cette histoire demeure pourtant encore très présente dans les mémoires, le surnom de « l’Américaine » revenant spontanément dans les échanges. Elle remonte à septembre 2009, quand Françoise Souverville, une Franco-Américaine venue des Etats-Unis, est mise en examen pour la mort d’un bébé en août 2008. Un décès survenu juste après sa naissance à domicile, dans le secteur de Saint-Lizier, à laquelle cette femme d’alors 58 ans avait assisté, seule. La doula sera finalement condamnée début 2010, par le tribunal correctionnel de Foix, à dix-huit mois de prison avec sursis pour « exercice illégal de la médecine et homicide involontaire », à une interdiction d’approcher les femmes enceintes en Ariège et à des dommages-intérêts au profit du Conseil national de l’ordre des sages-femmes, partie civile au procès.
« Bénédiction de l’utérus » et « soin d’éclosion »
Malgré ce drame, les doulas ariégeoises comme les sages-femmes interrogées affirment que les accouchements non assistés d’une présence médicale perdurent, sous l’influence d’une tendance new age promouvant le « féminin sacré » et la puissance de la femme. Depuis au moins 2006, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) surveille d’ailleurs les activités des doulas. A sa tête, Donatien Le Vaillant recense, sur les cinq dernières années, vingt-sept signalements auprès de ses services impliquant des doulas – devenues « une source de préoccupation » –, et constate la « pleine expansion » de différents rituels.
La Miviludes alerte notamment sur la « bénédiction de l’utérus », dont semble s’inspirer le « blessing way » (« chemin de la bénédiction ») proposé par Camille Filluzeau dans son cabanon. Moyennant 190 euros, une femme enceinte délègue à sa doula l’organisation d’un après-midi où ses amies les plus proches sont invitées à la « célébrer ». Au programme : confection de colliers de perles, rédaction de messages que la mère découvrira aux premières contractions et moulage en plâtre du ventre encore rond.
Mais c’est surtout grâce à son « soin d’éclosion » que Camille Filluzeau se fait connaître en Ariège. Un rituel post-partum facturé 250 euros et qui se déroule en plusieurs étapes : un massage aux huiles puis une « sudation » – la femme s’accroupit dans une petite hutte emplie de vapeur d’eau, accompagnée d’un fond sonore composé de chants et de tambour chamanique. Vient enfin le soin, d’inspiration mexicaine, à la manière du rebozo, qui vise à resserrer le bassin de l’accouchée, par un « serrage du corps en sept points » à l’aide de tissus. « La sortie du cocon peut être très émouvante », conclut « Manila Doula ».
Cette tendance new age peut aller encore plus loin. Bien que ce soit strictement interdit par le code de la santé publique, certaines mères parviennent à conserver leur placenta, comme en attestent différents posts sur des réseaux sociaux promouvant notamment la pratique du bébé- lotus, que prônait déjà Françoise Souverville quand elle exerçait en Ariège dans les années 2000. Cette pratique consiste à attendre que le cordon ombilical se rompe seul, plusieurs jours après la naissance du bébé, qui demeure ainsi relié au placenta. L’organe peut aussi être récupéré pour d’autres finalités, d’abord symboliques : « On peut faire des empreintes placentaires » avant de l’« enterrer au pied d’un arbre », développe Camille Filluzeau, qui explique avoir également consommé le sien. Convaincue des multiples « effets bénéfiques » du placenta pour soigner ses enfants, celle-ci déclare en avoir fait des « capsules d’homéopathie ». Pour son troisième accouchement, la doula concède même être passée au « stade supérieur » : « J’ai fait des smoothies avec un morceau cru. Et j’avoue que j’ai vu clairement la différence sur plein de trucs », décrit-elle posément.
Dans la lignée de personnalités ayant médiatisé la consommation de leur placenta, comme l’actrice américaine Hilary Duff dans un podcast ou sa compatriote Kim Kardashian dans un post sur Twitter en 2015, Camille Filluzeau identifie plusieurs bienfaits : moins de fluctuations hormonales, une lactation plus rapide et une énergie décuplée. Aucune preuve scientifique n’a pourtant attesté des bienfaits du smoothie au placenta, indique notamment une étude publiée en 2015 dans la revue Archives of Women’s Mental Health.
Ligne plus « professionnalisante »
Mais pour la Miviludes, le « risque principal » réside aujourd’hui dans la « prise de pouvoir de la doula sur la vie de la personne, se substituant à la sage-femme », répète Donatien Le Vaillant. Le chef de la Miviludes prend l’exemple de ce futur père qui s’inquiète, auprès de ses services, du changement de comportement de sa femme, qui refuse de consulter une sage-femme depuis qu’elle voit une doula. Ces dérives font « beaucoup de mal » à cette activité encore émergente, déplore Laura Munoz, au point que celle-ci a aujourd’hui choisi de se défaire de ce terme : la plaque dorée à l’entrée de son cabinet mentionne qu’elle est « accompagnante en périnatalité ».
Tenante d’une ligne plus « professionnalisante » du métier, la trentenaire identifie une autre voie pour les doulas : celle d’une « complémentarité » assumée avec le travail des sages-femmes. Des praticiennes libérales abondent dans son sens : « On peut être complémentaires avec les doulas, à condition que chacune connaisse ses limites », affirme une sage-femme exerçant en Ariège. Dorie (le prénom a été modifié) oriente même certaines de ses patientes vers les cercles mamans-bébés de Camille Filluzeau, en particulier celles qui ressentent le besoin d’échanger plus longuement que ce que la soignante peut leur offrir.
Cette coopération possible entre sages-femmes et doulas encourage Laura Munoz à se mobiliser pour faire reconnaître sa pratique et la réglementer. Elle a créé sa propre école de formation en accompagnement périnatal, où interviennent des psychologues et un médecin d’un hôpital toulousain. La posture de la kraamzorg, à mi-chemin entre infirmière et aide familiale aux Pays-Bas, est très régulièrement citée en exemple par des doulas, afin de prouver qu’une place demeure vacante auprès des parents français, notamment lors du post-partum. Mais la professionnalisation du métier reste un horizon lointain, tant s’accorder sur des valeurs communes reste une gageure. Ainsi, ni Camille Filluzeau, ni Noëmi Schenkel, ni Laura Munoz n’ont signé la charte de Doulas de France qu’elles jugent, pour des raisons diverses, « trop stricte ».