Le Figaro n°19655, 11 octobre 2007
Delphine de Mallevoue
Régisseur d’une troupe de théâtre, patronne de bar, prof de Français, chef de projet Internet… Charlotte, 33 ans, a fait tout ça avant de devenir doula il y a quatre ans. «Entourer l’autre, l’épauler», voilà ce que cette maman aime dans cette «jolie aventure» qu’est la naissance.
Aujourd’hui, elle accompagne Llolanda, 37 ans, agent de clientèle, mariée à Olivier, 35 ans, informaticien. C’est la dernière visite avant l’accouchement. Confortablement installés dans leur appartement d’Enghien-les-Bains, dans le Val-d’Oise, ils partagent avec Charlotte leurs dernières angoisses.
Comme dans la majorité des cas, le couple a eu recours à une doula après une première grossesse traumatisante. «Je ne voulais pas revivre une césarienne, sans être accompagnée, explique Llolanda. Charlotte est pour nous un véritable soutien moral et psychologique, une façon d’aborder les choses de manière consciente.» Pour Olivier, qui considère la démarche «intelligente», cette expérience a surtout permis de «vivre la grossesse plutôt que de la subir».
La vogue des «doulas» inquiète le corps médical
FAMILLE Sages-femmes et obstétriciens mettent en garde contre ces non-professionnelles qui accompagnent de futures mères.
«TU ENFANTERAS avec une doula»… Ce pourrait être le commandement, revu et corrigé, de la Genèse si l’on devait décrire aujourd’hui cette tendance très populaire chez les femmes enceintes.
Sorte de bonnes fées de la grossesse, les «doulas» («servantes» en grec) accompagnent les futures mamans avant, pendant et après la naissance, en marge des institutions et des personnels médicaux. Un genre de «coaching» sur mesure, à domicile, qui vise à pallier les manques du système de prise en charge de la maternité.
Et c’est là que le bât blesse : les sages-femmes ne voient pas d’un bon oeil ces femmes qui, sans formation professionnelle, n’ont que leur expérience de mère de famille à faire valoir. «La porte ouverte à tout et n’importe quoi», résume Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes. «On ne s’improvise pas experte sur ces questions qui exigent une connaissance médicale, s’indigne-t-elle. C’est même dangereux : un conseil inadapté, psychologique ou physique, suffit à causer un drame. Particulièrement dans ces instants de la vie où la femme est fragilisée.»
Méthodes naturelles
Moins nombreuses qu’aux États-Unis, où elles sont 2 400, elles ont débarqué en France il y a trois à quatre ans et sont aujourd’hui 40 en exercice et 150 en apprentissage. Constituées en association, elles ont accompagné 140 naissances l’an passé. Et la demande augmente chaque année. Leur philosophie est centrée sur le retour aux méthodes naturelles, et 34 % des naissances qu’elles ont suivies l’an dernier ont eu lieu à la maison. «Notre rôle est d’accompagner les femmes dans leur projet quel qu’il soit, médicalisé ou physiologique», insiste Pascale Gendreau, doula à l’association Doulas de France. Au menu : «beaucoup d’écoute et de réflexion, quelques réponses et jamais de conseils», dit Valérie Dupin, coprésidente de Doulas de France.
Côté tarifs, rien n’est réglementé puisque ce métier n’a pas d’existence légale. Chaque doula avise en fonction du couple à accompagner mais demandent 500 eur en moyenne. Un forfait comprenant cinq visites avant et cinq visites après la naissance et «autant de coups de fil qu’on veut».
Déplorant la grogne des sages-femmes «qui y voient une concurrence», les doulas défendent leur savoir-faire. «Nous avons une charte et des journées de formation», avance une doula lyonnaise. L’association Doulas de France vient d’ailleurs de radier une femme aux méthodes douteuses. Reste que les obstétriciens ont cosigné avec les sages-femmes un communiqué peu favorable : «La seule expérience personnelle ne donne pas compétence à s’occuper d’autres femmes.»
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