Cela fait plusieurs années que j’accompagne des parents tout au long de la grossesse et dans les premiers mois avec bébé. Ce sont toujours des moments riches. Mais il m’a été donné de vivre mon plus beau moment de doula, le 3 octobre 2011.
Dès notre première conversation téléphonique, j’ai senti que le courant passait bien entre Marie et moi. Elle m’a expliqué la césarienne, mal vécue, puis l’accouchement vaginal par voie basse qui a suivi, mais où elle n’avait pas vécu les choses comme elle l’aurait souhaité.
Marie a tout de suite exprimé qu’elle souhaitait ma présence à l’accouchement car son mari avait pu verbaliser qu’il n’était pas prêt à l’assister, qu’il ne se sentait pas à sa place dans une salle de naissance. Marie a déjà deux grandes filles d’une union précédente. C’était son 3e bébé, mais pour Jean, c’était une nouveauté.
Au fil de nos rencontres, nous avons tissé un lien de confiance. Je lui offrais un espace d’accueil pour ses peurs, ses angoisses, ses souhaits, ses incertitudes.
Je l’aidais à cheminer vers l’accueil de son enfant et vers cette nouvelle mère qui apparaissait en elle. Elle m’aidait à être une doula plus attentive, plus à l’écoute de ses silences.
Nous avions la même vision des choses, les mêmes croyances. Nous étions sur la même longueur d’onde. Marie m’avait signifié les images qui l’aidaient quand elle se sentait en détresse. C’était important pour moi de me les approprier pour pouvoir l’aider à les utiliser le jour J. Elle pensait qu’elle accoucherait bien avant le terme : ses deux filles étaient nées avec trois semaines d’avance.
Nous sommes restées en “alerte” pendant une semaine. En effet des contractions intenses, régulières, venaient troubler sa quiétude. Je me rappelle avoir passé une nuit à l’aider par téléphone à gérer ses premières contractions, à vérifier si la régularité résistait au temps, au bain chaud. J’ai même dormi toute habillée, prête à partir, au cas où, deux nuits de suite. Puis plus rien. J’en profitais pour dire à Marie de se reposer au maximum, de profiter de ce répit que son corps lui offrait pour prendre des forces.
Je ressentais très fort qu’elle m’appellerait au moment où elle perdrait les eaux. Cette intuition devenait une certitude au fil des jours…
Et une nuit vers 1h45 Marie m’appelle, affolée “j’ai perdu les eaux”… je lui prononçais des paroles apaisantes, je lui disais que je partais pour la rejoindre à la maternité que tout se passerait bien malgré les 45 minutes de route qui nous séparaient.
Je suis arrivée à la maternité de S. Marie venait d’être installée dans une salle d’examens, monitoring en place. Elle m’a présentée à D la sage-femme présente cette nuit-là. Comme elle craignait une réaction négative de la part de l’équipe, nous étions d’accord pour qu’elle me présente comme une amie. D m’a demandé si j’avais déjà accouché. Je lui répondais positivement ; puis elle m’a demandé si j’avais déjà assisté à un accouchement. Face à ma réponse négative, elle m’a dit que cela pouvait être un peu impressionnant.
Jean était là, il ne disait pas grand-chose, s’étonnait des chiffres du monitoring. Je lui expliquais qu’il s’agissait des battements du cœur de sa fille et qu’un bébé avait un rythme cardiaque bien plus rapide que celui d’un adulte. Il semblait rassuré.
Je proposais à D de sortir, au même titre que Jean, pendant l’examen du col de Marie. Celle-ci souhaitait que je reste et D a accepté. Elle était dilatée à presque 4 cm. Je félicitais Marie, lui montrait qu’elle gérait parfaitement et qu’elle s’en sortait très bien.
Après 45 minutes de monitoring, la sage femme nous a dirigés vers une chambre. Marie y serait plus à son aise. Traverser les couloirs de la maternité fut assez éprouvant pour elle, les contractions s’intensifiant.
A partir de là, les choses se sont accélérées, j’avais le sentiment que très vite les contractions ne laissaient que peu de répit à Marie. Elle ne trouvait pas la position qui la soulageait, mais elle ne me lâchait pas la main. Je lui parlais constamment, l’encourageais. Je lui rappelais les images qui lui faisaient du bien : un champ de lavande notamment. Je lui disais de s’ouvrir de se laisser fondre dans les vagues des contractions. Nous avions essayé la douche chaude qui finalement ne lui convenait pas. Je me rappelle avoir pataugé nus pieds, pantalon relevé pour l’aider. Elle utilisait le son, technique de chant prénatal que nous avions abordé au cours des rencontres. Cela impressionnait Jean qui essayait de lui parler mais Marie n’était pas disponible pour lui répondre. Je lui expliquais doucement de ne pas lui en vouloir, qu’elle n’était pas elle-même.
Au bout d’une heure et demie, les contractions étaient toutes les trois minutes. Marie commençait à réclamer une péridurale. J’ai alors appelé la sage femme qui a examiné le col : 7 cm ! J’ai dit à Marie combien j’étais fière d’elle et qu’elle gérait magnifiquement. Elle s’agrippait à moi littéralement. Nous sommes descendues en salle de naissance.
Pendant la pose de la péridurale, je suis restée avec Jean dans la salle d’attente, il avait besoin de comprendre ce qui se passait pour sa femme, pourquoi elle criait parfois. J’étais le lien qui l’unissait à sa femme.
Puis je suis retournée auprès de Marie et D, la sage-femme qui essayaient de trouver la meilleure position pour l’accouchement.
Il était 6h du matin, Marie était épuisée, la péridurale n’agissait pas. Elle souffrait encore et commençait à paniquer et se fermer alors j’essayais de capter son regard pour l’encourager encore et lui dire de demander à sa fille de descendre. Je me sentais comme un chêne profondément ancré dans la terre et sur lequel elle pouvait s’appuyer, (au sens propre comme au figuré). A 6h45 elle sentait qu’il fallait pousser. Je suis allée chercher la sage femme et lui ai retranscrit ce que Marie me disais. Elle était à dilatation complète. Nous l’avons encouragée à tour de rôle. D et moi échangions des regards complices. Je me taisais quand elle parlait, elle se taisait quand je parlais. Au bout d’une demi-heure, sa petite fille a montré le bout de son nez. Quand elle est née, j’ai fondu en larmes. Je ressens encore cette émotion si forte, si violente, je ne pouvais pas retenir mes larmes. Et Marie accueillait sa magnifique fille en lui disant qu’elle l’aimait. C’était si magique, les cinq heures que nous venions de passer venaient de s’effacer d’un coup !
Quand les soins de Marie furent terminés, je suis allée chercher Jean qui attendait dans le couloir. Je les ai laissé tous les deux puis suis allée chercher les vêtements de la petite. J’en ai profité pour installer les affaires de Marie dans la chambre. Après les soins de la petite, D m’a dit “Tenez regardez le poids” et elle m’a proposé de prendre le bébé pour l’emmener à la maman. J’ai été touchée par sa démarche.
J’ai été présente à Marie sans faillir pendant tout le travail, tout en m’effaçant quand la sage femme était là, pour lui laisser pleinement sa place. J’ai tout de suite compris à quel point s’était important. Nous étions dans le respect l’une de l’autre : moi de son travail, elle de mon rôle d’accompagnante. Avant que Marie ne sorte, elle lui a dit à quel point, elle avait trouvé que je l’avais bien accompagnée, que j’avais été un réel soutien. Je suis sûre qu’elle a deviné que je n’étais pas une simple amie mais une doula… Je lui ai écris pour la remercier de la confiance qu’elle m’avait témoignée.
J’ai la conviction que c’est par la douceur et le respect que nous pourrons travailler ensemble pour le bien-être des futures mamans.