Charlotte Marchandise Fajardo, octobre 2007
Comment quelques femmes en France qui réinventent une façon de soutenir les femmes, les hommes autour de la naissance, en créant en France les doulas, qui existent dans beaucoup de pays (et non pas seulement une « mode » venue des États-Unis), comment font-elles pour susciter autant de réactions des Conseils médicaux, lorsque justement leur fonction n’arrive qu’en complément du médical ? Comment ont- elles réussi à faire parler du manque de sage-femme bien plus que dans les dernières années, par leur seule existence ?
Les femmes ont toujours accompagné les femmes. Les femmes se réunissaient, échangeaient des conseils, se passaient les recettes de grands-mères en petites filles, dans une solidarité, une sororité évidente.
Aujourd’hui, cela n’est plus toujours le cas. De nombreuses femmes témoignent de ce manque de transmission, d’un vide immense.
D’autre part la fonction de mère, cette image presque sacrée d’amour infini et inconditionnel, a écopé en plus de ces attentes, de nouvelles responsabilités. La mère est responsable du bien-être physique de ses enfants, médical, mais aussi psychologique. Les articles se succèdent proposant des chemins différents mais tous affirmés comme étant indispensables à l’équilibre de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra. Allaitement ou biberon, sommeil, alimentation, les injonctions viennent de partout, pédopsychiatres, pédiatres, sages-femmes, journalistes, auteurs…
La place du père est aussi devenue la responsabilité de la mère. Quelle mère n’a pas entendu qu’elle ne laissait pas sa place au père, qu’il faut le laisser faire à sa façon, penser à retrouver sa vie de femme… Et c’est encore à elle que revient la réussite ou l’échec.
Le père lui a la responsabilité de protection, mais aussi d’être un nouveau père, de changer les couches, d’être là à l’accouchement avec si souvent comme seul outil… un brumisateur. Quel est son vécu, à cet homme, face à la femme qu’il aime traversant ce passage, face à la naissance de son enfant ?
La grossesse est médicalisée, suivie par différents professionnels parlant un langage rarement accessible. On informe les femmes des tailles et positions de leur col de l’utérus, quand bien souvent elles ne savent pas à quoi cela correspond. L’accouchement est une routine bien réglée, et l’on entend « ne vous inquiétez pas nous savons ce que nous faisons ». Bien sûr, et heureusement !
Mais pour cette femme, cet homme, c’est la naissance de leur enfant, un moment unique, fondateur dans leur vie. Et nombreux sont ceux qui témoignent s’être sentis « dépossédés », volés de cet instant, voire traumatisés.
Le suivi après l’accouchement est quasiment inexistant. Trois à cinq jours à la maternité, avec des conseils à nouveau contradictoires selon l’équipe, et retour à la maison. Et là, qui appeler ? Qui viendra prendre soin, transmettre à la jeune mère ? Pour celles qui reçoivent de leur famille, de leurs amis, c’est merveilleux, mais pour les autres?
Ceci n’est pas une accusation des pratiques médicales. C’est un constat, issu de la parole des parents. Les sages-femmes font un travail remarquable dans des conditions parfois épouvantables. Avec amour et attention, elles prennent soin de cette femme, qu’elles ne connaissent pas, le jour de la naissance de son enfant. Elles prennent soin parfois de 5 femmes en même temps. Sans avoir les moyens de connaître l’histoire de ce couple, de cette grossesse, de cette famille. Elles ont le savoir médical qui permet d’accoucher en sécurité, et c’est ce qui permet de pouvoir aujourd’hui se poser la question du bien-être psychologique. Elles ont aussi le savoir humain. Les obstétriciens sont compétents, savent faire les gestes indispensables. Les équipes de puéricultrices, d’aides soignantes souhaitent aider les femmes.
Mais quand il n’y a pas de politique commune au sein d’un hôpital, chacune amène son savoir, à sa façon. Sans souvent se rendre compte que ces informations contradictoires sont extrêmement difficiles à gérer pour les jeunes parents.
Les PMI aimeraient prendre le relai. Cependant l’information ne passe pas si facilement entre le lieu de naissance et le lieu de résidence. Les moyens sont limités et, comme c’est logique, ils sont attribués en priorités aux familles en difficultés. Pourtant, les difficultés sont parfois muettes, difficiles à voir, et les chiffres de la dépression post natales sont très élevés.
Les parents aujourd’hui demandent un autre écoute. Les parents aujourd’hui expriment une demande, expriment leurs blessures, expriment qu’ils ont besoin d’une autre forme de soutien. Les parents savent que cela n’enlèvent en rien ce qu’ils reçoivent par ailleurs, comme ils en témoignent. Ce n’est pas parce que notre soeur nous écoute, que nous n’avons pas besoin que notre mère en fasse autant. Même si la sage-femme qui suit ce couple est disponible, accueillante, à l’écoute, qu’elle a les moyens d’exercer pleinement son savoir et son humanité, les parents font parfois la demande d’une doula. Certaines sages-femmes sont aussi heureuses d’avoir une passeuse de relai en la personne de la doula. Cette femme qui connait l’histoire du couple peut la transmettre à la sage-femme, ce qui lui permet de travailler d’une bien meilleure façon.
La question est sans doute : quelle est cette société où nous avons besoin de doula ?
Pour que des femmes soient disponibles pour venir écouter les futurs parents, il faut lui en donner les moyens, et cela passe par une rémunération.
Pourtant nous rémunérons des nourrices, assistantes maternelles pour prendre soin de nos enfants. Ont- elles des formations poussées pour cela ? Pourtant c’est souvent la personne qui va nous donner des pistes pour mieux comprendre nos enfants, avec son expérience d’avoir vu grandir de nombreux enfants, avec tous les échanges qu’elle a eu avec les parents. Oui, dans notre société, nous ne pouvons plus compter sur le cercle familial pour s’occuper des petits lorsque les parents travaillent. Et la fonction de nourrice s’est professionnalisée.
Alors oui, aujourd’hui, la femme qui écoute la femme pendant la grossesse, qui écoute l’homme, qui peut transmettre l’expérience d’autres femmes, qui peut faire le relai avec les équipes dans les histoires difficiles, c’est une doula. Et elle se professionnalise, se dote d’une charte, et fait tout son possible pour mettre ses forces au service de la profession de sage-femme. Nous envoyons les couples vers les sages-femmes, rétablissons des dialogues qui parfois étaient fermés. Nous écoutons la colère, et aidons à la transformer en quelque chose de positif. Nous sommes aux cotés de la femme, pour transmettre les expériences d’autres femmes. Nous prenons le téléphone pour appeler nos réseaux lorsque cet accompagnement sort de nos compétences. Parce qu’une femme en dépression n’est pas forcément capable d’appeler plusieurs services et raconter son histoire pour trouver le psychologue ou psychiatre qui pourra la prendre en charge. Parce qu’une jeune femme isolée qui vient d’accoucher a parfois une peur panique des services sociaux qui pourtant pourraient l’aider. Alors nous tissons des liens, nous écoutons, nous transmettons, nous sommes là pour ça. Pour les parents qui le demandent, pour ceux qui n’ont pas ce soutien dans leur cercle.
Nous sommes là pour accompagner des femmes qui ne parlent pas français et faire le lien entre des professionnels et ces femmes. Ou des femmes malentendantes. Nous sommes là pour les femmes seules aussi. Nous sommes là car ces femmes, ces hommes nous en font la demande.
Et si demain cette demande n’existaient plus, quel bonheur ! Si demain les voisines prenaient le temps d’écouter cette femme qui pleure le soir avec son nourrisson en remontant ses packs d’eau. Si des groupes de parents se créaient dans tous les quartiers. Si les sages-femmes avaient le temps de faire leur travail pleinement, en expliquant les termes non compris, en écoutant les demandes spécifiques des couples, en étant une personne de référence tout au long de la grossesse. Si les PMI avaient les moyens de venir voir les jeunes parents à leur domicile pour prendre le temps d’écouter toutes les questions dites « idiotes » qu’ils se posent.
Si demain nous n’avions plus besoin de doula, c’est que la société aurait changé et ce serait la plus belle récompense.
En attendant, nous entendons ces témoignages de difficultés autour de l’attente d’un enfant. Professionnels, et surtout parents. Et les doulas ne viennent et n’ont une légitimité que par la demande des parents.
Nous créons notre emploi, c’est un service à la personne. Comme nous avons besoin de personnes pour nous aider à nettoyer notre maison, à s’occuper de nos enfants, à les aider dans leur programme scolaire (être étudiant donne-t-il une légitimité pour s’occuper d’écoliers ?), à nous couper les cheveux, nous avons besoin de femmes pour nous écouter et prendre le temps de nous aider à faire le tri dans les conseils multiples.
Si au lieu de polémiquer, nous prenions le temps d’entendre ces demandes, ces témoignages, ces détresses parfois ?
Si les conseils de l’ordre acceptaient de nous rencontrer plutôt que de nous diaboliser, acceptaient de voir nos efforts pour développer une formation, basée sur une éthique et une charte ? S’ils écoutaient les sages-femmes, médecins, auxiliaires de puériculture, etc… qui chaque jour témoignent positivement de leur collaboration avec une doula ?
Peut-être alors découvrirait-on que ceux qui ont des demandes sont les parents, que la solidarité entre femmes n’est pas une antiquité mais une nécessité réelle, et que c’est ensemble que nous souhaitons avancer.
Charlotte Marchandise Fajardo
Octobre 2007