Karine La Sage-Femme, 23 juin 2018

Karine la sage-femmePlus que jamais dans l’histoire de l’humanité, les femmes qui deviennent mères ont besoin des doulas, et ce, en partie parce que nos sociétés modernes individualistes ont perdu la force de leurs communautés. Avant, on avait nos mères, nos sœurs, nos voisines, nos amies. Les femmes s’aidaient, elles se supportaient, elles s’accompagnaient et se guidaient à travers les étapes de la vie. Mais de nos jours les femmes avancent seules, à tâtons, comme elles peuvent et du mieux qu’elles peuvent. C’est d’une tristesse.

Oh bien sûr il y en a encore des femmes chanceuses qui ont leur réseau pour les aider, et quelle chance elles ont ces femmes ! Mais le fait est qu’elles sont de plus en plus rares les communautés unies, je le vois bien dans mon quotidien de femme et sage-femme.

Loin de moi l’idée d’être fataliste, mais le fait est bel et bien là, la majorité des humains de l’ère moderne sont incroyablement seuls quand ils arrivent devant les grandes étapes de la vie. Les femmes enceintes et les jeunes familles sont souvent isolées, avec, comme seules ressources, quelques groupes Facebook et des blogues à leur image, si elles en trouvent. Bref, faute d’avoir un village, elles ont une communauté virtuelle!

Ce n’est pas parce qu’on a admis les pères dans les salles d’accouchement que les femmes ont cessé d’avoir besoin du sisterhood. C’est demander beaucoup aux hommes que de s’attendre à ce qu’ils jouent le rôle de la mère, de la sœur et de l’amie.

Bref, plus que jamais dans l’histoire de l’humanité le monde a besoin des doulas.

C’est quoi une doula?

Aussi appelée « accompagnante à la naissance », la doula accompagne les futurs parents dans la préparation à l’accouchement et à la parentalité. Elle est présente en prénatal, à l’accouchement, en postnatal immédiat et dans les premières semaines de l’adaptation familiale.

Bref, la doula est une petite fée, une bible d’informations et de sagesse, une mère et une sœur. Elle n’a pas les connaissances médicales d’un médecin ou d’une sage-femme (et c’est tant mieux !). C’est plutôt une ressource d’amour, de bienveillance, de convictions et de douce sagesse.

La doula moderne joue le rôle de l’amie, la sœur ou la mère qu’on n’a pas quand on devient mère, père, en plus de nous partager des informations pertinentes et audacieuses sur la naissance.

Puisqu’elle n’est limitée ni encadrée par aucun ordre professionnel, elle peut se permettre des commentaires et des réflexions qui sont parfois délicats pour un médecin ou une sage-femme, permettant alors aux futurs parents de pousser encore plus loin la réflexion sur ce qu’ils veulent vraiment en ce qui concerne leur expérience d’enfantement.

Ce billet n’est pas une description de tâches d’une doula, ça, il y en a des tonnes sur le Net. Je terminerai donc cette section en mentionnant simplement que la présence d’une doula à l’accouchement augmente vos chances d’avoir un accouchement spontané, réduit considérablement vos risques d’avoir une césarienne et/ou l’épidurale, réduit la durée de l’accouchement et augmente la satisfaction de l’expérience générale. Vous pouvez lire cet article si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet (https://evidencebasedbirth.com/the-evidence-for-doulas/).

Le monde a besoin de doula, en prénatal

Préparer son accouchement n’a jamais été aussi important qu’à l’ère moderne. Pourquoi ?

Et bien d’abord parce que les femmes ont toutes peur d’accoucher et qu’elles ne se racontent plus la naissance comme un processus normal. Fini le temps où la femme enceinte de ses dix lunes se faisait raconter la naissance comme un poème par sa mère, en faisant la vaisselle.

Oh ça fait mal, tu vas voir ! Mais ce n’est pas si terrible que ça parait. Je l’ai fait, ta grand-mère la fait, alors tu vas le faire. Y’a pas ben l’choix !

Une autre bonne raison de se préparer à accoucher à l’ère moderne, c’est qu’on s’en va presque en “guerre” quand on s’en va accoucher de nos jours et qu’on veut vivre un accouchement naturel.

Au cours des cent dernières années, le paradigme médical nous a vendu l’idée qu’accoucher était dangereux et qu’on devait se faire prendre en charge pour y survivre. Alors quand on décide d’accoucher autrement qu’avec une soumission aveugle au modèle technocratique de la naissance, et bien il faut savoir à quoi on a affaire, ce qu’on veut et ce qu’on ne veut pas.

Quand on ne connait pas les risques d’une induction du travail, d’une admission trop précoce (avant cinq centimètres), de la péridurale, de la position couchée ou de la poussée dirigée, et bien on ne peut pas savoir qu’on ne veut pas ces interventions d’emblée.

C’est là que la doula prénatale arrive. Son rôle sera de vous informer sur ces différentes interventions, leurs utilités dans certains contextes, et de leurs risques dans d’autres. Après, vous serez plus en mesure de faire vos choix, de mettre vos limites, et de découvrir vos propres convictions.

Aussi, si on ne sait pas qu’accoucher ça peut être le “fun”, qu’on peut même avoir un orgasme en accouchant, alors on ne découvre pas comment on peut arriver à sécréter les bonnes hormones pour faire de l’expérience de la naissance un moment de jouissance extrême ! Loin de moi l’idée de vous faire croire qu’en embauchant une doula vous allez jouir en accouchant, mais en tous les cas la doula devrait pouvoir vous expliquer quoi faire pour favoriser un tel contexte ! Ma préparation virtuelle aussi d’ailleurs.

Le monde a besoin de doulas, à l’accouchement

Même si l’OMS a publié en 2018 ses nouvelles recommandations intrapartum et que celles-ci stipulent qu’il ne faut plus seulement viser la diminution de la mortalité/morbidité périnatale, mais plutôt et avant tout, viser l’émancipation des femmes qui enfantent, parce que c’est seulement de cette façon que nous réussirons à diminuer considérablement la mortalité/morbidité périnatale, et bien le fait est que les choses n’ont pas encore changées dans les hôpitaux modernes.

En fait, rares même sont les médecins, sages-femmes et infirmières qui ont lu ces recommandations toutes fraîchement sorties du four. La plupart d’entre eux ont vu passer le document, puis l’ont oublié la minute d’après.

Donc, même si l’OMS répète à chacune des 200 pages de ce document absolument fantastique, et bien il est loin encore le jour où les femmes seront réellement respectées et encouragées dans leur émancipation de l’enfantement, entre science et sacré. C’est pour ça que ça vous prend une doula si vous prévoyez accoucher à l’hôpital.

À l’hôpital, la doula vous proposera le ballon, le bain et le banc de naissance qu’on ne vous proposera pas d’emblée. Elle vous accompagnera à chaque contraction s’il le faut, en vous rappelant de profiter de vos pauses, en déposant une serviette froide sur votre cou. Elle sera là pour vous dire que “c’est normal” de vouloir l’épidural à ce stade-ci et que vous n’en avez pas besoin pour de vrai, même si vous la voulez.

Grâce à elle, vous allez vous ressaisir et vous arrêterez d’y penser à cette péridurale, pleine de fausses promesses au fond. Vous allez vous rappeler tous les effets négatifs d’une péridurale en travail, vous vous souviendrez à ce moment précis, qu’au fond, vous voulez la péridurale parce que c’est votre sommet, la transition, et qu’à ce stade toutes les femmes pensent à une porte de secours. Vous allez regarder votre doula dans ses yeux, respirer avec elle quelques contractions, le temps de calmer la panique, puis vous refermerez les yeux… pour plongez et trouver votre espace magique. Et là, vous atteindrez le sommet, la quiétude et l’émergence.

Quand bébé arrivera, votre doula rappellera à votre partenaire qu’il a un rôle à jouer, et grâce à elle, à sa lucidité, il dira au médecin :

Non, ne coupez pas le cordon avant au moins 5 minutes !
Non ! Ne le clampez même pas !

Et grâce à elle, votre doula, vous remercierez toujours votre chériE d’avoir protégé votre bébé dès l’arrivée et de lui avoir permis de commencer à vivre avec la totalité de son sang.

Et si jamais le médecin vous dit :

Mais là vous êtes fous ! Il va se vider de son sang votre bébé !

Vous saurez que cela est faux, grâce à elle, votre doula, qui vous aura expliqué que le bébé reçoit autant de sang s’il est dix centimètres au-dessous ou au-dessus du placenta. Et qu’y a-t-il dix centimètres au-dessus du placenta ? Oui, le ventre de la mère.

En postnatal immédiat, quand viendra le temps d’allaiter bébé pour la première fois, vous ne serez pas seule. Même si elle sait, votre doula, qu’il n’y a rien à faire la plupart du temps, elle sera là au cas où. Elle saura vous rappeler les bases d’une bonne prise du sein au besoin, et surtout, elle n’oubliera pas de vous offrir un petit jus pour célébrer votre victoire et assoupir votre soif que vous ne sentez pas, trop obnubilée par votre nouveau-né.

Bref, à l’accouchement, la doula à sa place. Elle est la mère, la grand-mère, l’amie, ou la sœur, celle qu’on avait autrefois quand on enfantait nos enfants, et ce, depuis que le monde est monde.

Le monde a besoin de doulas, en postnatal

Les nouveaux parents n’ont jamais été aussi seuls qu’à l’ère moderne. Même avec des centaines d’amis Facebook, une fois en postnatal ils se retrouvent seuls face à l’inconnu, avec leurs questions et leurs besoins criants.

Alors que dans les dernières semaines de sa grossesse, la future mère recevait constamment des messages pour lui rappeler qu’elle n’avait pas encore accouché ou que la date était dépassée, c’est maintenant le silence radio.

Une fois que le bébé est né, qu’on a publié sa photo et que tout le monde a écrit son « Félicitations », plus personne. Alors que son périnée pique et brûle sous les points qui fondent et que le chou dans sa brassière cuit en trente minutes tellement ses seins sont pleins de lait, la nouvelle mère n’a jamais autant eu besoin d’être soutenue, et pourtant, elle est seule.

Alors qu’il y a quelques jours, personne ne se gênait pour la harceler sur son fil Facebook. “Quoi ? T’as pas encore accouché ?” Là, en postnatal, personne ne daigne venir lui préparer une bonne soupe et l’écouter raconter son histoire.

C’est là qu’arrive la doula, avec son sourire fier et ses yeux pétillants, peut-être encore un peu cernés de l’accouchement. Elle arrive pour visiter la maman, l’écouter, lui faire un soin rebozo, une bonne soupe, un massage… Elle a peut-être même apporté des muffins. Peu importe, elle est là pour ce dont la mère, la famille, aura besoin ce jour-là. C’est tellement précieux.

D’ailleurs, il y a depuis quelque temps une émergence de doulas spécialisées en relevailles postnatales. Au Québec, Camille Laperle est une des instigatrices de ces services et je la remercie infiniment aux noms des femmes. Voir son site ici. (Perso, si j’étais à Montréal c’est elle que j’engagerais pour mon postnatal à venir…)

Oui, mais une doula, ça coûte de l’argent !

Évidemment que ça coûte de l’argent une doula. La doula doit bien nourrir sa famille elle aussi. En fait, je trouve que les doulas sont si peu payées pour tout ce qu’elles offrent aux futurs et nouveaux parents.

Au Québec, les doulas chargent en moyenne 450,00$ à 750,00$. Je trouve que ce n’est vraiment pas beaucoup pour tout le travail et le cœur qu’elles y mettent. Si un suivi leur demande en moyenne 40 à 60 heures, cela ne fait au maximum que 15$ de l’heure. Bref, je considère tout à fait raisonnable qu’une bonne doula d’expérience demande entre 800,00 et 1500,00$, surtout si ses services incluent des relevailles postnatales.

Bon, cela dit je suis consciente que tout le monde n’a pas autant d’argent à mettre sur les services d’une doula. Mais si au lieu d’acheter une poussette de luxe on mettait plutôt l’argent sur la doula ? Si on demandait à nos proches de nous offrir ça au lieu de nous faire un shower ultra matérialiste ? Bref, je pense qu’il y a toujours une bonne raison pour ne pas mettre d’argent sur la santé des femmes et plutôt s’acheter la super chaise berçante pour allaiter bébé. Une fois le bébé né, les services de la doula seront peut-être intangibles matériellement, mais je vous assure que l’effet à long terme sera plus grand que la dernière poussette Bugaboo. Bref, tout est relatif quand vient le temps de parler argent et à mes yeux, la doula vaut vraiment l’investissement.

Et si vous n’avez absolument pas les moyens ni d’une famille aidante ni d’une poussette de luxe, alors je vous propose de contacter les écoles ou les groupes de doulas (sur Facebook) pour en avoir une gratuitement. Quand celles-ci graduent, elles doivent souvent faire quelques accompagnements bénévolement. On a toutes commencé comme ça, y compris moi, avant de devenir sage-femme.

Aimons les doulas !

Je terminerai sur cette note d’amour, parce que l’humanité n’a jamais eu autant besoin d’amour et de doulas. Et même parce que bientôt on verra certainement apparaître les doulas accompagnant la mort, vu la population vieillissante. C’est pour ça que je terminerai ce billet en disant qu’il y a urgence d’aimer et reconnaître les doulas.

C’est un fait, les médecins, sages-femmes et infirmières ont souvent une réticence face à elles. Comme si celles-ci nous menaçaient du vol de la relation avec la femme qui enfante, ce qui n’est certainement pas le cas.

Les doulas ne sont pas une menace de quoi que ce soit, sinon qu’un espoir favorisant l’émancipation des femmes et familles qui enfantent.

Karine La Sage-Femme