Le Quotidien de La Réunion, 24 juin 2024
Centrée autour de la maternité, l’activité de doula semble en plein essor dans l’Hexagone comme à la Réunion.
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Centrée autour de la maternité, l’activité de doula semble en plein essor dans l’Hexagone comme à la Réunion. Entre réponse à de véritables besoins et dérives new-age, cette pratique non reconnue et en marge du monde médical fait l’objet d’âpres débats. Elles seraient une vingtaine sur l’île, où un signalement à la Miviludes a été enregistré.
Après une première grossesse en 2021 et à l’instar de beaucoup de jeunes mamans aujourd’hui, Marie* (*Le prénom a été modifié) surfe occasionnellement sur les réseaux pour glaner informations et conseils autour des premiers pas de son marmaille. « C’est comme ça que je suis tombée sur des pubs de doulas, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant».
De nouveau enceinte en 2023, elle décide de sauter le pas et prend un rendez-vous, avec le besoin de parler de tout et de rien et de se sentir soutenue « émotionnellement». Dans l’attente de jumeaux, Marie bénéficie pourtant déjà d’un suivi très serré avec des rendez-vous médicaux tous les quinze jours. « Il n’y a jamais eu de souci de ce côté-là et j’ai été très bien accompagnée tout au long de ma grossesse. Mais ce n’est pas toujours facile de s’ouvrir complètement sur ce qui nous traverse avec un médecin ou une sage-femme, il me manquait quelque chose», confie la jeune maman.
Manque de temps, cadre médical impersonnel… « Peut-être que l’on n’est pas suffisamment sensibilisé à certaines attentes que peuvent éprouver parfois les patientes». « On», parce que Marie est médecin et travaille elle-même régulièrement au sein des maternités.
D’origine et de culture africaine, « où le lien est très fort entre les femmes au moment de la maternité», elle ressent un manque « dans une société qui privilégie presque exclusivement le contact avec les professionnels de santé».
« Avec Aurélie (doula), qui a quitté l’île entretemps, il était possible de discuter plus d’une heure et d’aborder des questions beaucoup plus intimes et personnelles. Surtout qu’une grossesse gémellaire génère beaucoup de stress, d’angoisse et de fatigue». Les rendez-vous, parfois à domicile, permettent aussi d’échanger sur l’expérience commune de la maternité. « Ma sage-femme, qui est parfaite dans son rôle et que j’apprécie beaucoup, n’est pas maman par exemple et n’était pas à même d’appréhender certains problèmes».
Comme dans l’adage nigérian bien connu « il faut tout un village pour élever un enfant», c’est ce lien d’expérience et cette proximité entre femmes que Marie a particulièrement appréciée en ayant recours au service d’une doula. « Je recherchais cette sororité, cet échange avec quelqu’un qui n’est pas mon médecin et qui n’est pas non plus de mon cercle amical ou familial»..
Expérience de femmes
Aurélie Savigny, installée comme doula à la Réunion durant plusieurs années, a bien identifié elle-même cette zone grise où un fort besoin reste parfois sans réponse. « On est de moins en moins entouré par la famille, et les professionnels souffrent eux-mêmes du manque de temps qu’ils peuvent consacrer à leurs patients».
Elle qui a accompagné plus de 60 jeunes mères et dans certains cas leur entourage, oppose les logiques de « rentabilité et de taux de remplissage des hôpitaux et des cabinets» au temps nécessaire à l’instauration d’un lien de confiance. « Il n’y a rien de révolutionnaire, il s’agit en grande partie de soutenir et de réconforter»
Fruit d’une « belle rencontre», l’accompagnement de Marie par Aurélie a laissé de bons souvenirs de part et d’autre. « On est resté en contact encore aujourd’hui, et on se donne des nouvelles de temps à autre».
Quand on lui fait entendre que les moments d’échanges représentaient « une parenthèse enchantée» ou « un moment suspendu», Aurélie Savigny a le sentiment d’avoir bien joué son rôle. Marie parle pour sa part « de cerise sur le gâteau».
Une réalité parfois bien plus sombre
Les deux femmes restent cependant bien conscientes des limites de cet exercice, qui s’affranchit à l’heure actuelle de tout cadre légal. « Je n’accepterai jamais d’accompagner quelqu’un qui souhaite se passer de tout cadre médical», confie Aurélie Savigny, qui a pu faire face à des demandes parfois très borderline. « Même si on peut recevoir beaucoup de sollicitations différentes, jamais une femme ne doit sortir du parcours de soins médical classique. Chacun son travail et chacun ses compétences», insiste la doula.
Sensible au sujet en tant que médecin, Marie confirme que jamais aucune ligne rouge n’a été franchie. « Quand j’avais des questions d’ordre plus médical, elle a su toujours me réorienter vers un professionnel de santé».
Certaines doulas ne s’embarrassent pourtant pas de tant de précautions. Si elles sont cinq en 2024 à être installée en tant que telle à La Réunion, l’île en compterait au moins une vingtaine en réalité. Des personnes parfois très jeunes et sans expérience, qui idéalise leur rôle auprès de la future maman. « Il ne s’agit pas de jouer avec un poupon ou de discuter entre copines, il faut parfois accompagner des projets de grossesse qui ne pourront pas se faire, des IVG, des deuils…», confirme Aurélie Savigny. «C’est éprouvant émotionnellement et physiquement».
La multiplication des formations, parfois très courtes, représente donc « un véritable danger. Car en réalité chacun peut s’installer doula du jour au lendemain». De quoi provoquer des situations à risque, aux conséquences parfois funestes. Si a priori aucun événement aussi grave n’a été signalé sur l’île, il nous a été rapporté au moins un cas d’un accouchement en pleine nature réalisé à La Réunion avec pour seule accompagnante une doula. Et au moins un signalement a également été remonté à la Miviludes, l’organisme en charge de la lutte contre les dérives sectaires, pour une doula en exercice sur l’île.
De quoi imaginer, dans l’ombre de ces deux faits marquants, une litanie de conseils malavisés ou inadaptés dispensés hors de tout cadre réglementaire.
« C’est vrai que pour quelqu’un de fragile ou qui aurait peu de notions des risques encourues, ça peut vite déborder si elle tombe sur la mauvaise personne. Pourtant je reste convaincue que c’est une pratique qui mérite d’être plus connue», confie Marie, pour qui conseiller un accouchement hors maternité est une pure folie. « Tout le monde doit être conscient qu’un accouchement peut très bien se passer, mais que tout peut aussi basculer très rapidement avec un risque mortel pour le bébé comme pour la mère. Se passer de la sécurité d’une maternité ou d’une maison de naissance, où les choix et les souhaits des femmes sont correctement pris en compte, est absurde».
Autre frein secondaire, le coût de cet accompagnement qui n’est bien évidemment pas remboursé. « J’en ai parlé autour de moi, en expliquant ce que j’en pensais. Mais c’est vrai que lorsqu’on se prépare à accueillir un enfant, on commence à faire attention aux dépenses. Le bien-être n’est plus forcément une priorité».
Militant pour leur reconnaissance, de nombreuses doulas invitent les personnes qu’elles ont accompagnées à envoyer leurs « feuilles de soins» aux mutuelles pour espérer un sursaut sur le sujet. « Si on pouvait corréler les frais de santé généraux des femmes qui ont été bien accompagnées par des doulas, je suis sûr qu’on pourrait mesurer les bénéfices. Pour ma part je regrette de ne pas avoir connu ça dès ma première grossesse, et je peux dire que la présence d’Aurélie a participé à ma santé générale et a contribué à ce que tout se passe bien pour moi et mes jumeaux».