Radio France Internationale, 22 mars 2023
À l’occasion de la Journée mondiale des doulas ce mercredi 22 mars, RFI se penche sur ce métier encore méconnu en France, qui a pourtant le vent en poupe. Des accompagnatrices dans la maternité, l’accouchement, ou l’avortement, elles écoutent et soutiennent de façon toujours non-médicale. Alors que certains professionnels de santé s’inquiètent de possibles confusions, la profession de doula tente plus que jamais de faire valoir son utilité, et sa place.
par Louise Huet
À l’occasion de la Journée mondiale des doulas ce mercredi 22 mars, RFI se penche sur ce métier encore méconnu en France, qui a pourtant le vent en poupe. Des accompagnatrices dans la maternité, l’accouchement, ou l’avortement, elles écoutent et soutiennent de façon toujours non-médicale. Alors que certains professionnels de santé s’inquiètent de possibles confusions, la profession de doula tente plus que jamais de faire valoir son utilité, et sa place.
Elles sont là pour aider à penser la naissance plus sereinement. Ce mot ne vous dit peut-être rien, mais dans les pays anglo-saxons, les doulas ont de plus en plus la cote auprès des familles. Le terme de doula, issu du grec ancien, signifie « la femme esclave, servante » ou « celle qui sert la mère ». Généralement exercée par une femme, cette fonction, née en France au début des années 2000, consiste à apporter un soutien émotionnel et physique dans les expériences de la vie, le plus souvent lors de la période périnatale et après l’accouchement.
« Une doula est une personne qui va materner la mère et offrir un espace d’écoute dans lequel le couple peut parler de tout ce qu’il ne peut pas aborder avec le personnel de santé qui suit la grossesse », indique Virginie Franqueza, doula depuis quinze ans et membre du conseil d’administration de l’association Doulas de France (DDF), créée en 2006.
Ces accompagnatrices puisent souvent dans leur expérience personnelle, à l’image de Juliette Aïssa, 30 ans, doula depuis plus de deux ans : « J’ai eu envie d’apporter à d’autres ce qui a pu me manquer pendant ma première grossesse. Ce n’est pas juste d’emmagasiner des informations dont on a besoin, mais aussi de se sentir écoutée, épaulée face aux changements qui surviennent dans ce moment de notre vie où on est un peu perdu et stressé. »
Dans une époque marquée par le retour au naturel et les craintes des violences obstétricales, les doulas proposent d’être aux côtés des femmes et de prendre du temps pour elles. Un accompagnement non-thérapeutique qui intervient en complément de la prise en charge médicale, comme l’expose Yanick Revel, doula à Lyon depuis 2005 : « Pendant la grossesse, on est habitué à énormément de rendez-vous médicaux. La société française se charge bien de s’occuper de nous, mais parfois on ne voit plus la naissance que sous cet angle-là. Alors qu’il s’agit d’une expérience humaine très forte. »
La doula, entre la « confidente » et la « baby-planner »
Dans la pratique, la doula intervient à domicile, pour des séances de deux à trois heures. Elle « respecte l’intimité des personnes », et plus simplement, « offre une présence pour rassurer », décrit Yanick Revel. Une doula donne aussi des coups de main pratiques pour soulager la mère. Une aide en cuisine, pour veiller sur les enfants, pour plier le linge, pour consulter un catalogue de maternité… « On se retrouve parfois comme une baby-planner, à organiser ce qu’il faut pour accueillir le bébé », dépeint avec un sourire Juliette Aïssa, créatrice du compte Instagram Wecandoula.
Les doulas peuvent aussi répondre aux doutes des pères et les aiguiller sur les mots à adopter avec leur conjointe. Virginie Franqueza et Juliette Aïssa soutiennent tout autant des couples hétérosexuels que des couples lesbiens et des personnes transgenres, de plus en plus de femmes seules, mais également des personnes qui souhaitent avorter. Un fait qui peut paraître surprenant : accompagner à la fois l’accouchement et l’interruption volontaire de grossesse. « Dans la sphère médicale, on ne traite l’IVG que d’un point de vue pratique et technique, mais il n’y a pas d’espace pour accueillir les émotions qui surgissent après la décision ou la procédure. Alors moi, je vais porter le sac de la femme qui avorte, lui tenir la main pendant un curetage, rester chez elle après une IVG médicamenteuse… Car il n’existe aucun dispositif pour surveiller qu’elle ne perde pas trop de sang si elle avorte seule chez elle », ponctue Virginie Franqueza.
Autre détail important : le prix. Les prestations des doulas, une profession non reconnue en France, oscillent entre des forfaits de 350 à 600 euros durant la grossesse, et entre 40 et 70 euros par visite, d’après l’association Doulas de France. « Il ne faut pas se voiler la face, c’est un service qui reste majoritairement consommé par des gens avec un minimum de revenus, concède Juliette Aïssa. Aussi parce que la majorité des familles défavorisées ne savent pas que ça existe et comment y avoir accès ». Les solutions, selon la trentenaire : la gratuité du premier accompagnement quand la doula est en période de formation. Puis une fois formée, ces dernières peuvent mettre en place des bourses ou des cagnottes pour les personnes plus modestes.
Doula et sage-femme, deux métiers diamétralement opposés ?
Le nombre exact de doulas en France est impossible à préciser. En 2021, l’association DDF en comptabilisait 137 dans son annuaire officiel, réparties dans tout le pays. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, ces accompagnatrices sont reconnues d’utilité publique, et sont même parfois employées par certaines maternités. Pourtant, en France, le climat à leur égard est bien plus hostile. « Dans la mesure où les doulas n’ont ni compétences réelles ni formation médicale, leur exercice peut être dangereux pour les femmes et le suivi de grossesse. Par manque de connaissances, les doulas peuvent donner de mauvaises informations ou ne pas déceler quand il y a des problèmes médicaux », assure Anne-Marie Curat, trésorière de l’Ordre national des sage-femmes. Pour elle, l’accompagnement est indissociable du suivi médical, et les deux devraient être dispensés par la sage-femme.
Alors pour éviter toute confusion, Yanick Revel, Juliette Aïssa et Virginie Franqueza insistent lourdement sur la sémantique à adopter : la doula n’est pas un « guide », ne donne pas de « conseils », ne devrait « imposer aucun choix ». Et surtout, n’a aucunement vocation à remplacer la sage-femme. « On a peut-être le même public, mais nos deux fonctions n’ont absolument rien à voir. La sage-femme est une soignante, avec des compétences médicales techniques qu’une doula n’a pas et ne prétend surtout pas avoir », martèle Juliette Aïssa, qui renvoie systématiquement ses clientes vers des médecins dès qu’elles ont des questions médicales complexes. De son côté, Virginie Franqueza a fait le choix de n’accompagner que les personnes ayant déjà un suivi médical, « pour bien distinguer le rôle de chacun ».
En 2006, alors que venait d’émerger la profession, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alertait dans un rapport sur le manque d’encadrement du métier et sur l’ambigüité de leur fonction. La même année, l’association Doulas de France publiait une charte pour établir ce cadre : « Nous ne sommes pas thérapeutes et ne réalisons aucun acte médical. Les doulas n’ont aucune compétence pour dispenser une consultation, donner un avis médical, établir un diagnostic ou une prescription, pratiquer un examen ou un accouchement. Nous travaillons à créer un lien entre tous les intervenants médicaux et sociaux. »
Pour l’heure, il n’existe en effet ni formation officielle ni règlementation précise autour des doulas. L’Institut de formation Doulas de France propose malgré tout un cursus, « le plus complet » d’après l’association DDF, composé de 27 jours de cours.
Œuvrer pour reconnaître la profession
Face à cette méfiance, l’association Doulas de France s’efforce de mieux faire connaître la réalité du métier. « Il y a une prise de conscience progressive de ce qu’apporte une doula. Tout le personnel soignant avec qui je travaille comprend de plus en plus notre complémentarité », rapporte Yanick Revel. C’est par exemple le cas de la maternité de Nanterre, l’un des rares établissements français à ouvertement accueillir ces accompagnatrices. « Tous les six mois, une ou deux femmes viennent avec leurs doulas. Et ça se passe très bien quand elles sont adhérentes aux Doulas de France. Elles ont l’habitude de travailler avec des sage-femmes, elles sont très discrètes, proposent toujours de sortir quand la sage-femme rentre dans la pièce », détaille Dr Benoît de Sarcus, chef du service gynécologie-obstétrique, pour qui la charte de l’association est gage de sérieux.
Selon lui, la doula permet de faire en sorte que le travail avant l’accouchement se passe au mieux, dans la douceur, « là où la sage-femme n’a pas le temps d’être présente en continu ». En revanche, Dr Benoît de Sarcus admet avoir rencontré des difficultés avec certaines doulas indépendantes, qui prenaient trop de place ou interféraient avec le travail des sage-femmes.
Depuis quelques années, comme le souligne Virginie Franqueza, les réseaux sociaux popularisent la profession, pour le meilleur comme le pire. « Par le passé, nous avons été amenées à signaler à la Miviludes certaines organisations et pratiques de doulas. Elles sont souvent associées aux dérives sectaires », dénonce Anne-Marie Curat, de l’Ordre des sage-femmes. « Quand on est doula, on n’a pas à amener de la spiritualité au sein des foyers, surtout en présentant ça comme des faits scientifiques. Il faut faire attention de ne pas basculer dans l’exercice illégal de la médecine. Mais j’insiste, ça ne concerne qu’une petite minorité dans le milieu des doulas », tempère Juliette Aïssa.
« On peut s’improviser doula du jour au lendemain. Sauf qu’un geste maladroit, une parole mal ajustée, peuvent avoir des conséquences importantes », renchérit Virginie Franqueza. C’est pour cela que cette dernière, avec l’association Doulas de France, œuvre pour faire reconnaître la profession et sa formation, avec un meilleur cadre et une prise en charge de leurs services par l’État. Mais « surtout pas de remboursement par la sécurité sociale, assène Virginie Franqueza, puisque ça entretiendrait une confusion avec les professionnels de santé ». Elle imagine plutôt un dispositif avec la CAF, ou une réduction sur les impôts. Une façon de démocratiser ce métier et de valoriser sa vocation première : offrir aux personnes une écoute bienveillante et un soutien moral dans chaque étape de leur vie.