Doris Nadel, sage-femme

200604-DO“Dans un de ses derniers bulletins, (n° 10), le conseil national de l’ordre des sages-femmes désavoue officiellement cette pratique et ses dérives possibles pouvant aller jusqu’à l’exercice illégal de la profession de sage-femme.
En tant que sage-femme, plutôt que de condamner, je préfère me poser les questions suivantes :
Qu’est-ce qui peut être touché en moi dans cette émergence d’une nouvelle fonction autour de la naissance ?
Qu’est-ce qu’une doula ? Comment peut-elle venir en aide à une femme enceinte, une parturiente, une nouvelle mère ?
Et pourquoi dans l’exercice de ma profession de sage-femme, vais-je cautionner ou rejeter de façon radicale comme mes consœurs du conseil de l’ordre, une pratique que je pressens a priori comme une aide supplémentaire pour les femmes dans la mise en actes de leur devenir mère ?
Et si les doulas pointent leur nez en Europe, n’est-ce pas que quelque part l’accompagnement de la naissance tel qu’il s’inscrit dans la culture sage-femme, proximité, intimité, humanité, disponibilité, écoute, et ce dans toutes les étapes du devenir mère, fait de plus en plus défaut dans l’exercice de notre profession dans les usines à bébé ? Faute de temps, de personnel suffisant, et de volonté politique…
Qui plus est combien d’heures dans le programme des étudiants sage-femme sont-elles consacrées à la physiologie, à l’observation et à l’encouragement des positions justes pour le corps des femmes qui enfantent ? Au respect de leurs besoins, de leur parole, à la dimension psychique, affective et relationnelle ?
Dans nos études sommes-nous humainement formées à la relation d’aide, à la communication aux interactions psychosomatiques, à favoriser dans nos actes l’établissement du lien mère- enfant par un accueil du nouveau-né respectueux du temps nécessaire à chacun ?
Nous connaissons les réponses ; les étudiants sont de plus en plus formés à l’utilisation des techniques, des protocoles, des accouchements standardisés, et à s’occuper de plusieurs parturientes en même temps, de remplir les dossiers, et la paperasserie de plus en plus volumineuse selon les services, à la pathologie, au médico-légal, et je ne ferai pas l’inventaire du reste…
Accompagner : se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui… Dixit le Petit Robert.
Aller où il va en même temps que lui… Signifie bien ne pas vouloir aller plus vite, lui imposer un autre rythme que le sien… Et cela vaut pour l’accouchement, l’accueil du bébé, l’allaitement… Accompagner la naissance.
Sage-femme en 2006 à de rares exceptions qui me réconfortent d’avance, je dirige les accouchements selon les protocoles en vigueur dans l’établissement… Peut-on diriger et accompagner ?
Bien sûr, une fois le monito, la perf, la péri posés, si je n’ai pas d’autre impératifs de service, je peux rester quelques minutes plus ou moins longues avec une femme, l’encourager, la rassurer, lui parler, être attentive… Jusqu’au moment où le devoir m’appelle ailleurs dans une autre histoire qui se joue de façon concomitante et aussi importante…
Je suis sage-femme depuis 30 ans, et à mon époque je n’ai jamais entendu parler de doulas, si ce n’est dans d’autres cultures lointaines, et elle représentait alors une femme qui maternait une femme en couche pour que celle-ci ne s’occupe que de son bébé. La doula s’occupait du ménage, de la nourriture, au besoin des autres enfants… Elle était mère elle-même, et possédait un savoir de femme concernant les soins à apporter au bébé, et à l’accouchée… Plantes, onguents, paroles à guérir, massages, pratiques diverses soutenues par les coutumes, les rituels, les traditions locales et son expérience de femme et de mère ; il s’agissait de sororité et de solidarité féminine, rien à voir à priori avec notre statut et formation de sage-femme !

L’accompagnement de la naissance tel que j’y fût formée et l’ai exercé jusqu’à aujourd’hui consistait en plus de notre savoir technique et médical de sage-femme, à être avec les femmes dans cette proximité physique et bienveillante, avec confiance et respect de la physiologie.
En 2006, l’obsession du risque et de la pathologie a envahi nos espaces de naissance, sans parler de l’inflation des procès en obstétrique. La peur est devenue l’ennemie de notre métier et les doulas ne font que pointer là où çà fait mal. Elles n’ont pas la responsabilité de l’accouchement, et sont donc libérées de la peur. De ce fait elles peuvent utiliser toute leur énergie et leur savoir de femme – car les sages-femmes ne sont pas les seules détentrices du savoir concernant la maternité pas plus que les médecins, et le pouvoir médical en général – au service d’une autre femme qui devient mère… être sage-femme signifie pour moi être au service d’une femme, d’un couple, d’un enfant qui naît, et je l’exerce avec plaisir et bonheur et beaucoup de responsabilités puisque j’ai choisi depuis 20 ans l’exercice libéral et la pratique des accouchements qu’implique l’accompagnement global de la Naissance.
Quelle sont les assurances qui assurent les sages-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile en France ?
Il y a des sages-femmes en France qui sont légalement diplômées, et qui exercent dans l’illégalité… Devinez lesquelles ?
J’aurai souhaité que notre conseil de l’ordre soit plus soucieux de défendre réellement l’autonomie de notre profession, sa spécificité, sa culture, sa pratique quel qu’en soit son mode d’exercice ; politiquement correct ou non.
J’ai choisi de devenir sage-femme pour accompagner les femmes à devenir mère et accueillir les bébés en toute humanité et sans violence…
Si d’aventure je rencontre sur mon chemin d’autres femmes qui ont le souci, l’envie, le désir d’aider d’autres femmes à cheminer vers d’avantage de présence, de conscience pour accueillir leur enfant le plus naturellement possible, à les allaiter, quelles soient professeurs de yoga, sophrologues, kinésithérapeutes, ostéopathes, psychothérapeutes ou doulas, je ne vois pas pourquoi je ne transmettrais pas un savoir acquis par l’expérience de la physiologie, de la psychologie, du langage du corps, et surtout par les femmes elles-mêmes autour de la naissance, ces petites choses qui ne sont pas dans les livres d’obstétrique, mais dans les histoires de mère, de grand-mère et arrières-grand-mères… Ces petites choses qui nous disent, nous murmurent dans le silence de nos intuitions, dans notre appartenance à l’espèce féminine, dans la mémoire de nos corps, de nos cellules, de nos hormones, comment retrouver un bien être à chaque moment de la grossesse et favoriser le bien-naître.

Accompagner : se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui…

Le suivi de la grossesse par une sage-femme qui prend le temps à chaque consultation, préparation, d’aller avec une femme à la rencontre de son bébé, de ses émotions, de ses sensations, de ses doutes, de ses peurs, pour l’aider à traverser la tempête physique et psychique qu’est chaque naissance, et arriver sur l’autre rive, fatiguée, épuisée, meurtrie dans sa chair, mais heureuse et rayonnante d’accueillir la vie avec ses forces à elle, n’aura pas besoin de doulas… Sauf que ces sages-femmes-là n’ont peu ou pas d’ouverture sur les plateaux techniques pour continuer leur mission d’accompagnatrice de la naissance… Loi votée non appliquée !
Combien de sages-femmes aujourd’hui souhaitent-elles devenir autonomes dans leur pratique, et entrer en cohérence avec leur philosophie de la naissance ?
Combien sommes-nous dans le contexte sociétal actuel où le savoir des femmes concernant la naissance est occulté et diabolisé, à oser une autre pratique, même au sein des structures ? User du prétexte de la sécurité pour ôter toute liberté de mouvement aux femmes qui enfantent, et n’accueillir l’enfant que sous des lumières froides, sur un champ stérile me semble fallacieux.
Si dans nos tripes nous ne ressentons pas de révolte devant ces insultes à la vie, c’est qu’en nous, quelque chose est déjà mort…
Accompagnatrice de la naissance, c’est aussi 24h sur 24, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, au delà en deçà des jours ouvrables….
Combien d’entre-nous sommes prêtes à cette vie… Au service de l’accompagnement de la naissance, du respect des femmes et de l’accueil de l’enfant ? Combien sommes-nous à vouloir simplement en tant que femme, faire notre part ; mettre plus d’humanité dans le monde… Et nous y engager ?

Sage-femme ou doula ? L’une chante l’autre pas, l’une masse l’autre pose le monitoring, l’une pose sa main sur le front, l’autre pose la perfusion, l’une pousse l’autre dit : poussez, l’une accueille le bébé dans ses mains, l’autre l’accueille avec la mère, l’une sort le placenta, l’autre s’extasie en même temps que la mère… Et si ça tourne mal, l’une répond dans l’expertise de ses actes, et l’autre explique ce que l’on est en train de faire… Certes la sage-femme peut encore être doula et sage-femme à la fois sans être schizophrène, je vous l’assure… (Le mot est mal choisi.)

Aux Lilas, dans certaines maternités, les doulas ce sont les aides-soignantes… En somme en toute femme il y a une doula qui sommeille.

Avec la doula, c’est comme avec le médecin, quand chacun est à sa place, il n’y a pas de confusion des rôles, et quand chacun a confiance en l’autre, c’est la patiente et la qualité de la naissance qui en bénéficie…

HUMANITÉ – PROXIMITÉ – SÉCURITÉ – QUALITÉ

Plan de périnatalité 2005-2007

Quand vous trouvez tout ça dans une seule personne, dites vous que vous êtes privilégiés et chanceux, mais comme je crois que nous ne sommes pas individuellement toujours au top, même avec les meilleures intentions, parce qu’humblement humains, le travail en équipe orienté sur le bien naître de l’enfant, de sa mère, de son père, en toute sécurité affective et physique est une expérience riche et pleine…

Des doulas pourquoi faire ? Peut-être pour nous sages-femmes, pour raviver en nous la mémoire du Féminin, dans cet archétype maternel, fait de douceur et de générosité, d’encouragements positifs et de réconfort, de non-jugement et d’amour inconditionnel qui fût l’âme et la muse de notre si beau métier… Peut-être aussi pour ressentir la force, la complicité, l’efficacité de ce qui nous relie entre femmes autour d’une naissance.”

Doris NADEL
Paru dans les Dossiers de l’Obstétrique, publié avec l’autorisation de son auteure.