Anna Stachulska est une sage-femme que les deux doulas organisatrices Maria et Gosia ont rencontrée lors d’une formation rebozo. La relation entre sages-femmes et doulas est plutôt bonne en Pologne et l’association des doulas polonaises soutient les sages-femmes pratiquant des accouchements à domicile.
Anna a écrit un livret sur le deuil périnatal, ce sont des textes en polonais parmi lesquels des poèmes, des histoires vraies de deuil sont racontées, comme celle d’Ewa, enceinte de 38 semaines, qui à la veille de Noël, se rend compte que son bébé ne bouge plus. Elle part donc à la maternité et le récit est alors raconté tantôt du point de vue d’Ewa qui comprend vite que son enfant est mort, tantôt de la sage-femme qui est en permanence tiraillée entre sa peine pour cette disparition et son travail qui lui enjoint d’expliquer aux parents la triste situation et qui doit gérer tous les détails techniques pour que les papiers soient fait, que la relève soit au courant afin que la famille n’ait pas a répéter une énième fois son histoire et redonner tous ses détails d’état civil, de dossier médical.
Un autre texte qui nous a été lu était particulièrement émouvant. Il disait en substance : « Aujourd’hui je n’ai pas que perdu ma petite fille qui venait de naitre, j’ai aussi perdu une fille de 1 an qui faisait ses premiers pas, une fille de 3 ans qui entrait à l’école, une fille de 14 ans qui vivait son premier amour, une fille de 18 ans qui quittait la maison, une jeune femme de 25 ans dans sa robe de mariée, une jeune mère de 28 ans qui était enceinte de son premier enfant… »
Les sages-femmes ne sont habituellement pas formées pour faire face à ce genre de situation, ni en ce qui concerne la façon d’accompagner la famille dans son deuil, ni en ce qui concerne leur propre émotion face à la situation. Elles auraient besoin de prendre quelques heures de recul mais le travail ne le leur permet pas. Bien souvent elles rentrent chez elles avec cette boule au ventre, ce sentiment de ne rien avoir fait pour « atténuer » la douleur de la perte et la tristesse de cette vie a jamais disparue alors que leur famille pleine de vie les attend et leur saute dessus, ne leur laissant pas de répit. Certaines sages-femmes dans les centres hospitaliers suivants des grossesses à risque ne tiennent pas longtemps dans ces conditions de travail.
Anna nous a raconté comment elle avait été marquée par la naissance d’un bébé qui était mort dans ses bras alors qu’elle n’était encore qu’étudiante. C’était une grossesse sans risque et c’est pour cela que la sage-femme en chef l’avait laissé prendre le bébé alors que cela ne se faisait pas. Elle n’aurait jamais du assister à cette mort, mais Anna pense que cela a été une chance pour elle au final car elle était bien entourée quand cela est arrivé. Cela peut être beaucoup plus traumatique si cela arrive à une jeune sage-femme en début de pratique qui se retrouverait seule face à cette difficulté.
Elle a avec le temps tenter de sensibiliser ses élèves sages-femmes, de leur faire comprendre qu’elles peuvent se laisser aller à pleurer mais qu’il faut qu’elles arrivent aussi à se couper de leurs émotions par la suite afin de pouvoir faire leur travail médical administratif. Il est très difficile pour les sages-femmes parfois de jongler entre une salle dans laquelle tout se passe bien, une autre où l’enfant est mort et une troisième où c’est la joie et le bonheur pour les parents. La sage-femme peut se couper des émotions et paraitre insensible alors qu’elle ne fait que se protéger. Elles n’ont pas de soutien psychologique, pas de débriefing, tout comme les parents.
Anna leur a appris aussi l’importance de créer des souvenirs de cette naissance, que les parents pourraient un jour souhaiter avoir. L’annonce de la mort de leur enfant les coupe de la réalité et ils ne pensent pas à se faire des souvenirs, ou la peine est tellement forte qu’ils refusent de les faire, c’est trop dur de sortir de sa douleur, ce serait accepter cette mort que de l’immortaliser avec une photo, une empreinte de pied, un dessin contour des mains etc… Il est important dans ce moments-là de créer une boite souvenir pour la famille qui pourra aider à faire le deuil plus tard quand les émotions seront de nouveau gérables.
Dans certains services, les médecins ne voyaient pas l’intérêt de faire ce genre de boite mais ils ont changé d’avis quand ils ont vu comment elles avaient aidé les mères à surmonter leur chagrin lors des visites postnatales. Ainsi, ces boites peuvent faire partie de la procédure standard en cas de deuil périnatal.
Ces boites peuvent contenir différentes choses comme :
- le rythme cardiaque du bébé sur papier
- le bracelet de naissance
- des photos artistiques du bébé dans ses habits de naissance, avec ses frères et sœurs, ses parents
- une mèche de cheveux
- des empreintes à la peinture, avec du plâtre, etc.
- si rien de cela n’est possible, on peut toujours acheter une petite statuette d’ange, de bébé, mettre des lettres relatant la naissance du point de vue de la mère, du père, de la sage-femme, de la doula…
Anna nous a rappelé l’importance des mots et de faire attention à ces phrases toutes prêtes qui en voulant redonner de l’espoir ne donnent pas la place au deuil. Pas de « tu es jeune, tu en auras d’autres », « tu vas bien, c’est déjà ca » etc. Quand une femme perd son mari, on ne lui dit pas ce genre de choses en sortant du cimetière.
Elle nous a rappelé aussi l’importance de ne pas mentir aux frères et sœurs : leur dire que le bébé s’est endormi peut les amener à refuser de s’endormir de peur de ne pas se réveiller eux non plus.
Une particularité en Pologne est que les sages-femmes peuvent baptiser des bébés que l’ont sait condamnés à mourir avant l’arrivée d’un prêtre. Pour rappel, l’avortement est interdit en Pologne sauf dans les cas de viol, inceste ou handicap lourd ou danger pour la vie de la mère. Dans les faits, nombre de médecins refusent de pratiquer l’avortement pour des raisons religieuses et certains vont même jusqu’à cacher les handicaps pendant la grossesse. De plus c’est un pays très pratiquant et le baptême est très important afin que l’enfant ne soit pas perdu dans les limbes. Par la suite, tout enfant dont on peut connaitre le sexe peut être officiellement enterré quel que soit son stade de développement. Dans le cas où le sexe n’est pas visible, on peut faire un test ADN pour le déterminer et il pourra alors être enterré au cimetière.
Il est important de proposer aux parents de voir l’enfant une première fois et s’ils refusent de leur laisser un peu de temps mais de leur reproposer. Du coup, il est aussi important de connaitre la législation dans ces cas : Peut-on voir le bébé ? (ce n’est pas systématiquement proposé, les parents ne savent pas forcément) Combien de temps peut-on le garder avec soi ? (dans certains pays deux jours) Que devient le corps ? (parfois il est « éliminé » comme un déchet organique selon les protocoles).
Cet atelier a été certes très riche mais aussi très dur car autour de la table nous étions une dizaine et au moins la moitié avait soit perdu un enfant, soit avait une amie proche ou de la famille dans cette situation et malheureusement aucune n’a relaté que les parents avaient été bien entourés, ni aidés, ni respectés et qu’on ne leur avait pas dit quels étaient leur droit (un cas de bébé mis avec les déchets hospitaliers avec refus de l’hôpital de laisser voir l’enfant à ses parents, un cas de femme qui aurait voulu voir son bébé mais à qui on n’a pas dit que c’était possible, un cas de « vous pourrez en avoir d’autres »…)
À noter tout de même une belle habitude en Islande, les enfants morts nés sont enterrés avec un adulte afin de « ne pas être seuls »…
Statue sur une tombe dans le cimetière de Wroclaw. En Pologne il y a souvent des tombes d’enfants avec des angelots, figurines, statues à l’effigie de l’enfant mort avec ses parents, frères et soeurs. Il y a même une symbolique dans le choix des postures.