Le Figaro Madame, 23 avril 2019
Une doula pour son accouchement, c’est l’option choisie par une flopée de femmes enceintes anglo-saxonnes. Soutien, confidente, référente culturelle… En quoi consistent les services de cette accompagnatrice de naissance ?
Depuis l’annonce de sa grossesse, le monde entier a les yeux rivés sur le ventre de Meghan Markle. Royal baby oblige, la duchesse de Sussex se serait entourée des meilleurs professionnels pour son suivi gynécologique. Parmi eux, une doula aurait été engagée. Si cette profession ne vous évoque pas grand-chose – si ce n’est peut-être un nouveau délire mystico-new-age – rien de plus normal, elle est peu répandue en France. Dans les pays anglo-saxons en revanche, les aficionados de l’accouchement physiologique (le plus naturel possible) s’arrachent les services de ces accompagnatrices de la naissance. Explications.
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Par Tiphaine Honnet
Le Google de la future mère
En grec ancien, le terme «doula» peut se traduire par «femme-esclave» ou «celle qui sert la mère». Cette fonction, généralement exercée par une femme, consiste donc à accompagner la grossesse de la future mère en complément du suivi médical, à travers un soutien moral et physique. La doula n’est pas une sage-femme et ne prodigue aucun conseil médical. La fonction n’est d’ailleurs pas reconnue comme un métier. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne en revanche, les maternités vont jusqu’à les employer. En pratique, ce service comprend une présence le jour-J mais aussi une disponibilité 24 heures sur 24 via téléphone ou e-mail et plusieurs rencontres avant et après l’accouchement. «On devient son Google, on apprend à la connaître, on se familiarise avec son projet de naissance, ses envies, ses craintes. On l’apaise autant que l’on peut, avec des mots ou des massages, liste Cécile Largeau, 38 ans, doula à Miami, mais sans jamais lui donner de conseils médicaux.» Aux États-Unis, ce travail se monnaie en moyenne entre 400 et 1500 $, en fonction de l’ancienneté. Certaines femmes le voient comme un job d’appoint, d’autres l’effectuent bénévolement, quand il s’agit de famille monoparentale et/ou en difficulté financière.Une mère, une tante ou une copine
Sa simple présence le jour de la naissance m’a automatiquement rassurée – Véronique, 33 ans, mère de deux garçonsOn ne devient pas «supporter» de naissance du jour au lendemain, surtout pour un accouchement physiologique. «Quand on a des contractions pendant plus de dix heures d’affilée, les femmes disent qu’un mari n’est pas suffisant», rapporte le Dr Benoît de Sarcus, chef du service gynécologie-obstétrique de la maternité de Nanterre, un des rares établissements français à accueillir ouvertement les doulas. «Mon compagnon était dans une attente passive, je me suis sentie seule», regrette Iris, 32 ans, coach à Paris. Pour la naissance de son fils à New-York, Véronique, 33 ans, expatriée française, a trouvé la perle rare lors d’un speed-dating de doulas. «C’était un coup de foudre, elle remplaçait ce que je n’avais pas sous la main à ce moment-là : une mère, une tante, une sœur ou une copine qui comprend ce que je traverse, se souvient la jeune femme. Sa simple présence le jour de la naissance m’a automatiquement rassurée», décrit-elle. En plus d’être mère elle-même, Cécile Largeau a suivi une formation de 16 heures agréée par la Doulas of North America, la première association internationale de doulas fondée en 1993 aux États-Unis, et continue de se former via un réseau d’entraide dédié. En France, l’Institut de formation Doulas de France, propose un cursus entier de 27 jours, le plus complet selon l’association Doulas de France.
Une porte-parole du projet de naissance
«Sauf urgence médicale, je m’assure du consentement des parents pour qu’il n’y ait pas de malentendu, ni de regrets», éclaire la franco-américaine Cécile Largeau.«Historiquement, les femmes ont toujours été soutenues par leurs consœurs durant leur grossesse mais cette sororité de la naissance a disparu petit à petit au profit de l’accouchement médicalisé», constate Meghan A. Borhen, chercheuse spécialiste de la santé des femmes à l’université de Melbourne. Si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime entre 10 et 15 % la proportion de césariennes absolument nécessaires pour des raisons médicales, le taux de césariennes pratiquées s’élevait à 32 % aux États-Unis en 2015, selon une étude publiée dans la revue The Lancet (en anglais) en octobre dernier. Souvent effectuées par souci de gain de temps, ces expériences n’en sont pas moins traumatisantes pour les mères. Même constat pour la péridurale. «Certaines patientes ont l’impression de s’être fait voler leur accouchement», commente le Dr Benoît de Sarcus. C’est pour s’en prémunir que le mouvement de libération des femmes a milité à la fin des années 1960 aux États-Unis pour un accouchement à minima médicalisé et a participé à l’introduction de cette «femme qui aide», décrite en 1976 par l’ethnologue Yvonne Verdier. «Peu de sages-femmes sont formées à l’accouchement physiologique et elles peuvent se retrouver démunies face à la douleur des mères», rapporte Valérie Dupin, doula pendant neuf ans en Angleterre et cofondatrice de l’association Doulas de France. «Il y avait un tel climat de peur autour de moi, je me suis sentie obligée d’accepter la péridurale», se souvient Katy, 44 ans, enseignante à Paris. Dans ces moments-là, la doula peut prendre la parole pour soutenir le projet de naissance de la mère. «Sauf urgence médicale, je m’assure du consentement des parents pour qu’il n’y ait pas de malentendu, ni de regrets», éclaire la Franco-américaine Cécile Largeau. Aussi bien dans le cas inverse. «Pour mon troisième accouchement, je n’entendais pas la sage-femme m’invectiver de pousser, il a fallu que ma doula me touche et m’appelle par mon prénom pour que je revienne à la réalité», confie Katy.
Soulager la charge mentale
L’accompagnement ne se limite pas aux portes de la maternité. Pendant les neuf mois de grossesse, la doula gère aussi tout ce qui tourne autour de la mère. «Laver son linge, préparer un repas, surveiller un autre enfant ou encore sortir le chien à chaque passage… ce n’est pas grand-chose mais cela soulage beaucoup», concède la doula Valérie Dupin. Certaines accompagnatrices de la naissance proposent même un forfait postnatal qui comprend des conseils pour l’allaitement, le portage mais aussi du baby-sitting de nouveau né. Elles n’oublient pas non plus le partenaire, souvent impuissant face à la situation. «Quand je vocalisais ma douleur, mon mari a cru bon de dire « on dirait l’exorciste », lève les yeux au ciel Véronique. «Personne ne s’occupe de lui alors qu’il vit lui-aussi un important changement», observe la doula Valérie Dupin. Pour mieux l’inclure, cette dernière répond avec bienveillance à ses questions et lui montre des techniques de respiration et de massage.Et en France ?
Au Royaume-Uni, les doulas sont reconnues d’utilité publique – Valérie Dupin«Au Royaume-Uni, les doulas sont reconnues d’utilité publique depuis plus d’une dizaine d’années», certifie Valérie Dupin. En France, le climat est plus hostile. «Sans aucune formation médicale, ces femmes empiètent sur notre cœur de métier et participent au morcellement de la prise en charge, alerte Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes. En 2006, un rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), alertait sur le manque d’encadrement de cette profession émergente. La même année, l’association Doulas de France se dotait d’une charte qui définit ce cadre : «Nous ne sommes pas des thérapeutes et nous ne pratiquons aucun acte médical. Nous ne dispensons pas de consultation ni examen ou avis médical d’aucune sorte. Les doulas n’ont aucune compétence pour établir un suivi médical de grossesse ou pratiquer un accouchement». La maternité de Nanterre accueille d’ailleurs entre ses murs uniquement les signataires de ce document, gage de sérieux de la praticienne. Dans la post-face du livre Donner Naissance (1), un recueil de témoignages de doulas et sages-femmes écrit par Alana Apfel, activiste du Mouvement pour une naissance positive (Positive Birth Movement), la sociologue des genres Geneviève Pruvost appelle à l’apaisement. «Il ne s’agit pas de rejeter en bloc la science biomédicale et l’organisation hospitalière, tempère-t-elle, mais de poser un miroir réfléchissant sur la table d’accouchement pour que les femmes pensent pleinement à ce qui se passe en elles.» Après avoir analysé 26 études sur les compagnons de naissance, menées dans 17 pays et impliquant plus de 15.000 femmes, la chercheuse Meghan A. Borhen ne voit que des bienfaits à leur présence à l’hôpital. «Accompagnées de la sorte, les femmes seraient moins susceptibles d’avoir une césarienne ou une péridurale et déclareraient être plus satisfaites de leur expérience de naissance», indique-t-elle. En plus d’un accompagnement psychologique pour certaines femmes nées à l’étranger, les doulas pourraient favoriser l’intégration à une autre culture. Aux États-Unis, Cécile Largeau a lancé la start-up French Doulas pour aider les expatriés de l’Hexagone qui ne maîtrisent pas les codes du nouveau pays et de son titanesque système de santé. «Si la doula a les mêmes origines ethniques, linguistiques et/ou religieuses que la mère, cette dernière a moins l’impression d’être une outsider dans le pays d’accueil. Elle peut se sentir confiante et plus autonomisée», confirme Meghan A. Borhen. Mais ce service ne limite pas à une certaine catégorie sociale de la population. Dans son ouvrage Donner Naissance, Alana Apfel démontre que le travail des accompagnatrices de naissance vient en aide aux femmes les plus défavorisées. À titre d’exemple, elle met en lumière un service gratuit de doulas, soutenu par la ville de New York ou encore un collectif qui aide les femmes enceintes détenues des prisons de la ville de San Francisco. Une assistance louable qui offre aux futures mères la possibilité de développer pleinement et sereinement leur amour maternel. (1) Donner Naissance, de Alana Apfel, éditions Cambourakis, 20 euros. Par Tiphaine Honnet