Le Réseau Canadien pour la Santé des Femmes, Printemps/Automne 2003, Volume 6, Numéro 2/3

2003-ReseauCanadienÀ l’époque où ma grand-mère était enceinte de ma mère au début des années 50, l’accouchement était un événement plutôt angoissant. L’expérience qu’elle a vécue en donnant naissance à celle-ci et, plus tard, à mon oncle, est typique de ce que vivaient alors la plupart des femmes : des moments d’isolement, d’absence de chaleur et de peur.

Puis, à la naissance de ma tante, ma grand-mère a vécu autre chose. Même si l’accouchement même ressemblait aux précédents, le souvenir qu’elle en garde est marqué par la visite que lui a rendue une infirmière, alors que ma tante était âgée d’à peine une journée. Ma grand-mère s’en souvient comme si c’était hier : la jeune femme avait brossé les cheveux soyeux du nouveau-né et les avait lissés sur le front en un magnifique accroche-cœur. Ces quelques moments de gentillesse avaient transformé un accouchement pareil aux autres en un événement spécial, dont ma grand-mère se souviendrait toute sa vie. Cette femme attentionnée, qu’elle le sache ou non, s’était comportée comme une doula.

Le terme « doula » est emprunté au grec ancien, qui signifie « une femme qui rend service aux autres femmes ». Aujourd’hui, ce titre désigne une femme qui accompagne les couples pendant l’accouchement. Au contraire de la femme qui avait rendu visite à ma grand-mère, les doulas sont rarement des infirmières; ce sont généralement des femmes qui se sentent une vocation pour le rôle d’accompagnatrice des femmes enceintes. Mais tout comme dans le récit de ma grand-mère, elles apportent une dimension de sollicitude à l’expérience de l’accouchement, que celui-ci se déroule à l’hôpital ou à la maison.

Habituellement, la doula rendra visite à la mère et son conjoint ou sa conjointe à quelques reprises avant la naissance de l’enfant. Ces visites permettent au couple et à la doula de se connaître et de planifier la naissance. Au moment de l’accouchement, la mère connaîtra bien la doula et lui aura confié ses désirs par rapport à l’événement, de même que de ses peurs.

Quand le travail commence, la doula est disponible nuit et jour. Elle offre des conseils sur les moyens d’activer le travail et de soulager la douleur. Elle devient cette personne à tout faire prête à accomplir le nécessaire, qu’il s’agisse d’aller remplir le verre d’eau ou de garer la voiture. Par-dessus tout, sa présence tranquille est source d’encouragement et de réconfort; elle donne à la femme qui accouche le sentiment d’être « maternée » si tel est, comme bien d’autres femmes qui vivent cette expérience, le besoin qu’elle éprouve.

S’il est prévu que l’accouchement se fera à l’hôpital, la doula peut aider le couple à démystifier un jargon, des actes médicaux et des appareils parfois intimidants. Elle veilla aussi à ce qu’on communique aux futurs parents toute l’information nécessaire si jamais une situation imprévue survient.

L’appui que procure la doula ne se limite pas à la mère; en fait, l’un des aspects primordiaux de la relation est le soutien apporté au conjoint ou à la conjointe. Elle lui chuchotera souvent à l’oreille, au cours de l’accouchement, des conseils comme « essayez de lui frotter le dos juste à cet endroit » ou « je pense qu’elle aimerait peut-être boire encore de l’eau »; certaines femmes s’étonnent d’ailleurs de ce que leur partenaire ait mystérieusement su aller au-devant de leurs besoins au bon moment.

Après la naissance, les doulas effectuent une ou deux autres visites à la maison, pour donner des conseils sur l’allaitement, parler de l’expérience de la naissance et aiguiller les nouveaux parents vers les ressources adéquates.

Les bienfaits de ce type d’accompagnement suivi sont impressionnants. Une étude publiée en 1993 par Klaus, Kennel et Klaus révèle, chez les femmes qui ont été accompagnées par une doula, une diminution des naissances par césarienne de l’ordre de 50 %, une réduction de 25 % de la durée du travail et de 60 % des demandes pour une anesthésie péridurale.

La doulas et la sage-femme conçoivent toutes deux la naissance comme un événement naturel dans une famille, mais elles n’interviennent pas de la même façon : les doulas ne posent aucun geste médical et ne font pas d’évaluation. Leurs fonctions pendant l’accouchement diffèrent également : la doula joue son rôle le plus important pendant le travail actif, au moment où les contractions sont les plus intenses, alors que la sage-femme est responsable de veiller à ce que tout se passe bien au moment même de la naissance. La doula peut donc se consacrer tout entière à la tâche d’assister la femme qui accouche d’une contraction à l’autre, sans avoir à doser son énergie en préparation pour la naissance.

Un autre point les distingue. Les doulas accompagneront les femmes que les sages-femmes n’acceptent pas de suivre, notamment les femmes considérées « à risque élevé », celles qui ont prévu une anesthésie péridurale ou une césarienne, celles qui résident dans une région où la pratique des sages-femmes n’est pas encore légalisée, ou encore celles qui prévoient accoucher à l’hôpital. Le rôle de la doula consiste à faire en sorte que l’expérience de la naissance soit la plus satisfaisante possible, quels que soient les désirs de la femme.

Il existe différents programmes de formation des doulas. Plusieurs d’entre elles suivent d’abord un atelier intensif de trois jours durant lequel on aborde les aspects physiques et affectifs de la naissance et les techniques de contrôle de la douleur; telle est par exemple la formation offerte par exemple par l’organisation Doulas of North America (DONA), qui compte quelque 4600 membres.

Les doulas travaillent généralement en pratique privée et facturent de 250 $ à 800 $ pour leurs services. Elles adhèrent toutefois à la vision exprimée par DONA, c’est-à-dire « une doula pour chaque femme qui l’exige », offrant leurs services selon une échelle mobile ou bénévolement.

Même si le rôle assumé par les doulas aujourd’hui est beaucoup plus large que celui qu’avait joué cette femme qui avait tant touché ma grand-mère, le but recherché est, en définitive, le même. Sollicitude, soutien et reconnaissance de l’importance de l’expérience de la naissance, voilà qui définit la marque distinctive des soins apportés par les doulas; ce pourrait bien être là des ingrédients essentiels pour forger, comme dans le cas de ma grand-mère, des souvenirs positifs et impérissables

Pour d’autres renseignements sur les doulas, consulter la page du RCSF intitulée Les accompagnantes à la naissance : www.cwhn.ca/ressources/faq/doulas_f.html